• <!--Creative Commons License--><a rel="license" xhref="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/" ><img alt="Creative Commons License" style="border-width: 0" xsrc="http://creativecommons.org/images/public/somerights20.fr.png" /></a><br/>Ces textes sont mis à disposition sous un <a rel="license" xhref="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/" >contrat Creative Commons</a>.<!--/Creative Commons License--><!-- <rdf:RDF xmlns="http://web.resource.org/cc/" xmlns:dc="http://purl.org/dc/elements/1.1/" xmlns:rdf="http://www.w3.org/1999/02/22-rdf-syntax-ns#" xmlns:rdfs="http://www.w3.org/2000/01/rdf-schema#">
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    Comme le dit Jean-Claude Dunyach, l'anglais est la lingua franca de la SF. Aussi, lorsque l'on parle de traduction des auteurs français, il convient d'énoncer les choses clairement : il s'agit avant tout de traduction en anglais. L'enjeu est simple. Voir son texte publié sur un support anglo-saxon - pour ne pas dire américain - augmente significativement ses chances de le voir traduit en d'autres langues.
    Puisque, paraît-il, nous vivons dans le monde merveilleux de la mondialisation, il ne serait donc pas idiot de penser que les échanges de biens, fussent-ils culturels, se fassent dans les deux sens. Mais dès qu'il s'agit du marché américain, les règles changent un peu. Les vieilles habitudes ont la vie dure, et on tend plutôt à se retrouver avec, ce qui semblerait être vu d'ici, être un mélange assez malsain de doctrine Monroe et de plan Marshall. Un cocktail, d'ailleurs, qui est la norme pour à peu prêt tous les secteurs industriels. Alors vous imaginez bien que la littérature de science fiction ne va pas faire exception.

    Œuphémisme dès lors que de dire que nos écrivains sont peu traduits à l'étranger. A ce point d'ailleurs, que la différence subtile entre "peu" et "pas" provient surtout de l'acharnement de certains d'entre-eux. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que chez nous, se sont les éditeurs qui prennent l'initiative de la traduction. Ils lisent, ou on lit pour eux, des romans étrangers, ils négocient ensuite les droits auprès de l'auteur, ou plus souvent auprès de son agent, et commandent une traduction en vue de publication.

    La démarche va être strictement inverse pour un auteur français désireux de se voir traduit. Jean-Claude Dunyach, réputé pour avoir connu le plus souvent les honneurs d'une publication Outre-Atlantique le dit très clairement : "... je suis - de loin - celui qui a le plus publié en anglosaxonie au fil des années. Pas parce que je suis le meilleur, mais parce que je suis le plus riche... J'ai simplement les moyens de me payer des traductions et d'avancer le fric..."

    Lorsqu'on leur demande les raisons qui motivent cette politique éditoriale, ceux qui ont tenté la percée anglo-saxonne parlent souvent de l'impossibilité à trouver des lecteurs en français. Imparable. Jean Pettigrew, le patron des éditions québécoises A Lire, modère un peu cette belle unanimité. Du fait de sa proximité avec le marché US, il a eu l'occasion de tâter le terrain avec plus de persévérance, et a très tôt réussi à vendre ses auteurs à l'export. Il a pu constater que lorsqu'ils estiment que le jeu en vaut la chandelle, ou quand des relations de confiance se sont instaurées, ses confrères états-uniens savent très bien dégoter des lecteurs compétents. Quitte à les débaucher dans leur pôle de littérature générale.

    Car la littérature française s'exporte. Sous une certaine forme du moins. Des classiques, s'y est forgée une idée de la France - pas follement novatrice je vous le concède - qui fleure bon le terroir. Une lecture au son de l'accordéon en somme, et qui ne cadre guère avec les productions de nos champions de l'Imaginaire.

    Non ! Les vraies raisons qui poussent les éditeurs US à nous bouder sont en fait bien plus abruptes. Si bons soient-ils nos écrivains ne les intéressent pas. Simple. Clair.

    Il est bien évident que notre production est trop marginale, et trop peu représentée pour qu'on songe même à parler avec pertinence de protectionisme. Si certains éditeurs considèrent avec mépris notre acharnement à écrire de la SF, ils ne constituent guère qu'une frange inculte largement minoritaire. Une simple recherche à "Jules Verne" sur Amazon.com suffit à s'en convaincre. Mais comme le rappelle assez justement Gilles Dumay : "Les anglo-saxons excellent dans le thriller et la science-fiction, ils n'ont besoin de personne.". A telle enseigne que Jean-Christophe Grangé - 300 000 exemplaires vendus pour ses Rivières Pourpres - n'a connu les bonheurs de la traduction que grâce à la persévérance d'une jeune responsable du bureau de copyright de chez Harvill, et qui a dû batailler ferme pour imposer sa "découverte".

    Et quand bien même l'exotisme serait-il apporté par un pourvoyeur aussi illustre que Robert Silverberg, les portes ne s'ouvrent pas pour autant. Témoin Destination 3001, l'anthologie monstre qu'il avait co-dirigée avec Jacques Chambon, et qui réunissait un casting impressionnant de poids-lourds anglo-saxons et européens. Le cahier des charges initial prévoyait une publication des deux côtés de l'Atlantique, mais il n'en fût rien. Impossible, même pour Silverberg, d'intéresser les éditeurs à ce projet. Et pourtant, certaines des nouvelles américaines ont resurgies de-ci, de-là. Le constat est plus qu'amer du coup, et pour lui la sentence est sans appel. Lorsqu'on lui demande comment les éditeurs américains considèrent l'Imaginaire étranger, il répond tout simplement : "Il s'en foutent complètement ! Et de toute façon, l'état actuel de l'édition SF aux Etats-Unis ne laisse de place à presque rien, en dehors de séries de piraterie spatiales et autres choses du genre.". Et à la question de savoir si un auteur français a une chance de percer sur le marché américain, le couperet tombe encore plus durement : "Aucune chance !", et de rappeler que certains de ses confrères, et non des moindres puisqu'il s'agit de Fredrick Pohl et de Damon Knight, ont par le passé essayé d'intéresser le lectorat à des auteurs français. Deux échecs cuisants.

    Dans ces conditions pourquoi s'acharner ? D'une part, comme je le disais plus haut, parce que c'est le meilleur moyen d'attirer l'attention d'éditeurs d'autres pays, et d'autre part parce que c'est extrêmement rentable. Pour un roman traduit, éditeurs et auteurs font fifty-fifty. Donc l'un comme l'autre ont tout intérêt à œuvrer de concert dans ce sens. En France, c'est d'ailleurs généralement l'éditeur qui dispose des droits à la traduction (ce qui n'est pas le cas dans les pays anglo-saxons). Et les marchés sont prometteurs. Gilles Dumay parle des pays de l'Est et de la Chine, où nos auteurs éveillent la curiosité. Evidemment, le marché pour intéressant qu'il soit est bien moins porteur et surtout bien moins balisé qu'ailleurs en Occident. Thierry Marignac, traducteur de l'anglais et du russe, qui connaît bien l'ex-Union Soviétique, tempère et fait remarquer que les Russes n'ont que peu d'argent pour lire, et surtout, que l'économie de contrebande généralisée n'épargne pas le secteur de l'édition. Les contrefaçons - souvent de simples photocopies reliées - privent les ayant-droits d'une part importante de leurs revenus. C'est d'ailleurs un constat que fait aussi Sylvie Miller, qui connaît bien les Balkans, et traduit aussi depuis le Serbe.

    Un autre gros marché, souvent négligé, celui du monde hispanophone. Et là encore, méconnaissance et tendance isolationniste entravent les initiatives. Toujours selon Sylvie Miller, plus connue pour ses traductions de l'espagnol, la perte de terrain de l'apprentissage du Français dans les écoles d'Espagne explique en partie cette méconnaissance. Mais elle y voit aussi des raisons plus profondes : "Les Espagnols sont des gens assez cartésiens et pour eux les littératures de l'imaginaire sont un peu le domaine des fous ou des illuminés (à l'instar de Don Quichotte qui se battait contre les moulins à vent)."

     

    Une tendance au cartésianisme que ne semblent pas partager les Sud-Américains, tant leur littérature est emprunte de fantastique et d'irréel. Borgès et Garcia Marquez pour ne citer qu'eux en sont les exemples parfaits. Mais l'Amérique du Sud est un continent en crise où les gens ont peu d'argent à consacrer à la lecture. Un peu oubliés du monde Occidental, ils ont aussi nettement tendance à tourner en circuit fermé et à s'abriter derrière une sorte de chauvinisme continental, que la proximité du voisin du Nord-Américain encourage. Et aux USA, qui perfusent l'économie de presque tous les pays du sous-continent, il est bien plus facile d'imposer ses produits culturels.
     
    Toutefois, puisque les bonnes volontés sont là, ne pourrait-on réfléchir à un modèle économique viable ? Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les auteurs, et leurs agents, conservent les droits de traduction. En France, instaurer un tel système équivaudrait à s'aliéner l'aide précieuse des éditeurs, et surtout nécessiterait une mini-révolution culturelle. Chez nous, seuls les auteurs vraiment "bankables" ont des agents, et pour cause... le peu de rentabilité des littératures de l'Imaginaire n'encourage personne à inviter à troisième convive à une table où le gâteau est déjà bien peu copieux. Les éditeurs, du moins les gros, disposent en outre de structures dédiées qui se chargent des cessions de droits à l'étranger, et pour limités dans leurs marges de manœuvres, ils n'en sont pas moins efficaces. On peut facilement avoir l'impression que les choses ne bougent guère. Mais le marché, s'il n'est pas confidentiel, intéresse finalement assez peu, en dehors du fait qu'il génère pas mal de fantasmes chez les lecteurs fans, qui rêvent de voir leurs champions hexagonaux se colleter avec les poids-lourds anglo-saxons. Et puis, on l'a vu, les conditions sont difficiles. Mais il serait bien naïf de croire que de grosses maisons d'éditions négligeraient d'aller secouer un cocotier donnant de si beaux fruits.
     
    Pour les petits éditeurs en revanche, et pour les auteurs de nouvelles, il en va tout autrement. Dans le monde merveilleux du petit artisanat, il est illusoire de s'imaginer qu'on puisse avoir les moyens de démarcher à l'étranger, et encore moins de se rendre sur les deux salons en Europe où tout se décide, ceux de Francfort et de Londres. Si la nécessité d'un modèle alternatif semble une évidence, dans les faits c'est bien plus compliqué qu'il n'y paraît. Dans les années 80 Jean-Marc Lofficier, qui a un pied de chaque côté de l'Atlantique, avait songé à impliquer des auteurs américains dans une sorte de bourse d'échange de traductions. Il s'était alors heurté à une forte résistance du petit landernau, et notamment à l'association Infini qui tentait à l'époque de se constituer en un équivalent de la SFWA - la Science Fiction Writers of America créée en 1965 par Damon Knight, justement. L'idée pourtant était intéressante. Toutefois la reprendre en comptant sur une association de talents écrivains-traducteurs serait irréaliste. Presque tous les traducteurs de l'anglais au français répugnent à l'idée de s'essayer à l'exercice inverse. Trop difficile de ne pas trahir le texte.
    Alors quoi ? L'horizon semble bel et bien bouché, et des éditeurs comme Bragelonne semblent avoir trouvé une voix médiane, en bypassant la case anglais et en se concentrant sur les pays de l'Est, bien plus accessibles en dépit des réserves formulées plus haut. Ce n'est toutefois qu'un pis-aller de luxe, qui est loin d'offrir autant de débouchés que les marchés anglais et américains.

     

    L'état des lieux semble assez désolant, et pourtant... Connaisseur et observateur du marché anglo-saxon, Jean Pettigrew, qui avait été le premier à vendre un auteur français à un gros éditeur US depuis Saint-Exupéry, allume toutefois une faible lanterne qui vacille au bout du tunnel : "Les énormes difficultés des marchés anglosaxons aidant, je prédis que les "agents" n'auront pas le choix avant longtemps que de se tourner vers l'extérieur. Et ce sera un agent spécialisé dans une autre langue (lire "assez brillant pour lire une autre langue que l'anglais et capable de découvrir ainsi les bons titres dans cette langue pour le marché anglo) et qui saura vendre un ou deux bestsellers sur le marché anglosaxon qui sera le premier à faire tourner le vent... et à s'enrichir." Il parle ici de la fuite en avant des éditeurs US, bien plus markettés que les nôtres, et qui sont condamnés à faire du chiffre sur un marché très concurentiel. Rassurante touche d'espoir, qu'hélas pourtant, aucun indice tangible ne vient pour l'heure étayer. S'il est vrai, comme le note Robert Silverberg, que le marché américain se renouvelle peu, il n'en reste pas moins que son lectorat ne semble pas être à bout de souffle, et que le marché n'est pas encore saturé. Cette tendance à l'isolationnisme continental n'est pas une simple conséquence du 11 septembre. C'est bel et bien une tendance dure de la culture américaine, et qui transpire jusque dans les fondements de sa fiction. Jean-Claude Dunyach le résume bien : "Je lis plein de bouquins qui se passent dans un univers alternatif où le Nord-Amérique est le seul continent - il existe sans doute une poignée d'îlots vaguement peuplés appelés Afrique, ou Europe, voire Chine ou Inde, mais on ne s'en occupe pas. Donc les extraterrestres venus de l'espace débarquent aux USA, règlent les affaires du monde avec le président local, et découvrent les joies du hamburger, sans qu'à aucun moment soit évoqué la possibilité que d'autres cultures puissent avoir leur mot à dire.". Mais il se trompe lorsqu'il conclut : "Ce n'est pas de l'arrogance, c'est juste de l'ignorance.". Ce "splendide isolement" est inhérent à la mentalité américaine, et on peut présumer, sans trop de risques, qu'il faudra bien plus qu'un simple coup de chaud sur le marché l'édition pour que les services d'acquisitions de droits des grandes officines se décident à lorgner du côté de nos côtes.
    La situation ne nous semblerait d'ailleurs pas si scandaleuse si les auteurs américains n'étaient pas, eux, largement diffusés chez nous. Ce vieux rêve de la publication en "anglosaxonnie", a pourtant la vie dure. Notre complexe d'infériorité aussi d'ailleurs, et ceci explique peut-être cela. Mais il est amusant, dès que l'on discute avec les acteurs du milieu de s'apercevoir que, même chez nous, l'aune à laquelle se mesure ce choc mou au niveau mondial, est l'argent. Etonnant en France, où le sujet est volontiers tabou, et où il est presque obscène de mélanger "art" et gros sous.

    Car parler de traduction, c'est parler argent, et ouvrir sur le débat des revenus des auteurs, et l'opportunité pour certains d'entre-eux de se professionaliser. Et là, quels sont ceux qui, en dépit d'un certain consensus incantatoire, seraient prêts à faire le grand saut, pour devenir d'authentiques marchands de mots ? Une question à laquelle nombre des auteurs étrangers traduits chez nous ont depuis longtemps répondu.
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  • Ravage

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    Écrivain, journaliste et scénariste, René Barjavel a été immortalisé dans cette stature de sage taciturne qu'il s'était donnée sur la fin de sa vie. Une posture qui seyait bien à ce Drômois, né en 1911 et monté à Paris en 1935. Et bien avant sa disparition en 1985, à la sortie d'un collège où il était venu rencontrer élèves et professeurs, on lui arrogeait déjà avec une constance très agaçante le titre quasi officiel de précurseur de la SF française. Adopté par la partie la moins renseignée de la frange crypto baba du lectorat pour Les Chemins de Katmandu et La Nuit des temps, coopté avec beaucoup de légèreté par la branche neo-romantique des fans du genre à cause L'Enchanteur, Barjavel bénéficie d'une bienveillance oublieuse. De fait, son anticipation inoffensive fait de lui la dernière borne fréquentable avant la disqualification en littérature de genre. C'est ainsi qu'il est devenu un classique des collèges où le manque de curiosité le fait encore étudier. Une série de malentendus pénibles que ne dissipera pas la présente édition de Ravage chez Folio Plus classiques.

    « Classiques », car Ravage en est un. Nous appartient-il, alors, de le juger ? Paradoxalement, et bien qu'il soit présenté comme un roman de science fiction, on continue de l'étudier selon une grille de lecture généraliste. Alors oui, on peut juger de Ravage, sinon en regard de son contexte historique – qui n'est pas anodin – du moins sur ses qualités « science fictionnelles » intrinsèques. Troisième roman de Barjavel, mais son premier vrai succès, Ravage est publié sous l'Occupation, en 1943, chez Denoël, alors éditeur d'Aragon et d'Elsa Triolet, mais aussi de Brasillach, Rebatet ou Céline, la fine fleur de la littérature antisémite et/ou collaborationniste.

    Dans le paysage éditorial de l'époque, son sujet a pourtant de quoi surprendre.

    « Lumière, siouplaît ! »

    Nous sommes en 2052, ère triomphante d'un modernisme saugrenu où les vieux rails des réseaux ferrés ont été changés en trois jours pour laisser place à des trains express suspendus. Le ciel des grandes villes se zèbre des éclats opalescents d'avions privés en plastique ultra résistant propulsés à la « quintessence », des immeubles de trois cents étages ont remplacé des quartiers entiers de Paris, et l'on s'y éclaire à l'énergie atomique. Le confort moderne comprend eau et lait courant à tous les étages, télé holographique et des autels funéraires façon diorama, où les aïeux embaumés sont théâtralisés, trônent au milieu du salon ( ???).

    Entre ces grandes îles urbaines, la nature a repris ses droits sur une campagne laissée en friche. Inutile de se donner la peine de cultiver la terre, alors que les usines chimiques vous composent des menus ex nihilo, et « fabriquent » légumes et viandes. Seule la Provence constitue le dernier bastion de résistance à cette civilisation qui a mis sa destinée tout entière dans sa foi machiniste.

    C'est de là qu'est originaire François Deschamps. Sceptique tranquille entretenant un petit fond réactionnaire, il monte à Paris décrocher son diplôme d'ingénieur-agronome et déclarer sa flamme à Blanche, son amie d'enfance. Cette dernière, pour tromper l'ennui d'un séjour parisien à l'école ménagère, s'est inscrite à un radio-crochet organisé par Radio 300. Repérée par son concupiscent directeur elle s'apprête à devenir la nouvelle coqueluche de la télé mondiale, et dans la foulée à se fiancer avec son pygmalion.

    Mais le soir même de son lancement sur les ondes, une panne générale d'électricité prive Paris de courant. C'est en vain que la population va attendre un retour à la normale. La France tout entière — et probablement le monde — va rapidement sombrer dans le chaos et payer chèrement la confiance indue qu'elle avait placée dans la technologie.

    « Douce France, cher pays de mon enfance... »

    Parce qu'il sort dans le contexte très particulier de l'Occupation, on ne peut pas analyser Ravage à l'aune seule de ses qualités littéraires, ni faire abstraction des échos qu'éveillent les idées qui nourrissent son intrigue. D'autant moins que Ravage est édité par Robert Denoël, sur l'attitude duquel pendant cette période on jette, habituellement, un voile pudiquement embarrassé. Mais si l'on appelle un chat, un chat, il faut bien alors se résoudre à appeler un collabo, un collabo. De fait, même en admettant – et c'est discutable – que Barjavel n'ait pas pleinement pris la mesure des implications de son histoire, il est certain qu'elles n'ont pas pu échapper à un éditeur de l'acabit de Denoël.

    Or dès les premières pages, il est permis de douter de la candeur de Barjavel. Dans toute sa première partie, il s'applique à décrire sa société du futur. Une exposition malhabile, rendue plus indigeste encore par les attaques fielleuses qu'il réserve aux tenants du modernisme. Une défiance qu'il rattache à sa fréquentation de Gurdjieff – gourou illuminé de la jet set du début du XXè siècle – mais qui n'explique pas tout. Les piques qu'il réserve à Le Corbusier1(rebaptisé pour l'occasion « Le Cornemusier », et qu'on ne pouvait pourtant guère soupçonner d'être un séditieux), ou la vision caricaturale qu'il livre des Cités-Jardins d'Henri Sellier2, disent assez ce que Barjavel pensait de leur œuvre. Ainsi lesté d'un plaidoyer qu'il larde de sarcasmes lourdingues, son Paris de 2052 s'englue dans un irréalisme confondant. « Ravage est un roman dicté par la logique », confiait-il pourtant en 1983 à des collégiens qu'il était venu visiter. Mais outre le manque d'explication du fléau qui prive ainsi le monde l'électricité (si ce n'est le titre original du roman, refusé par Denoël : La Colère de dieu), quelle logique, par exemple, lorsqu'il parle d'héberger les morts chez soi ? De même, on ne décèle aucune solution de continuité dans sa description d'une métropole où cohabitent dans un système résolument binaire, la modernité la plus échevelée et un petit peuple des faubourgs tout droit sorti du Paris de l'entre-deux-guerre, et dont la bêtise et la paresse ne sont recouvertes que d'un mince vernis d'anticipation. Facile et improbable encore, cet abandon total de la terre qu'il met en scène. Et si Barjavel fait ainsi subir les derniers outrages à la logique, c'est qu'il vise avant tout un propos. Un propos, qu'avec un sens consommé de la litote, il qualifiait volontiers de « nostalgique ». Plus de soixante ans après, nous dirions plutôt « réactionnaire ». Signe des temps.

    C'est François Deschamps, son protagoniste qui incarne le mieux ces valeurs. La promptitude du jeune ingénieur-agronome à se transformer en tueur sans remords, qui n'hésite pas à exécuter un de ses hommes pour un simple manquement à la discipline, se trouve tout entière justifiée dans l'une de ses citations : « Nous vivons des circonstances exceptionnelles qui réclament des actes exceptionnels. » En 1943, on ne peut pas écrire ça sans savoir précisément ce que cela implique. Cette phrase aurait parfaitement pu figurer dans le discours de Pétain du 17 juin 40. Il préféra, il est vrai et avec le succès que l'on connaît, y « faire à la France don de sa personne pour atténuer son malheur ». Plus modestement, ça ne sera qu'à sa petite troupe d'abord puis, à la fin, à la communauté rurale reconquise, que Deschamps fera – lui – le don de la sienne. Un sacrifice héroïquement orchestré par Barjavel, qui nous expose, sans recul aucun, l'évidence qui va conduire son héros à dégringoler l'échelle de l'humanité pour assurer la survie de son groupe. Et pas une fois au cours de son voyage, il ne se demandera si – justement – son devoir ne serait pas plutôt d'en préserver l'étincelle dans ce monde qui s'éteint.

    Veni, Vidi, Vichy

    « La terre, elle, ne ment pas. », disait encore ce bon Maréchal (nous voilà...). Et c'est vers elle et son humble reconquête que vont tendre tous les efforts de François Deschamps. Avec un nom pareil ! Pensez donc ! Si la traversée d'une France grotesquement désurbanisée, et maintenant en proie au chaos, permet à Barjavel de nous laisser quelques belles pages, une fois encore, le propos sous-jacent rend la lecture pénible. Confronté, par exemple, à une pure révélation mystique, Deschamps n'en dévie pas pour autant d'un iota dans sa détermination inhumaine. Et lorsqu'enfin il arrive dans ce sanctuaire provençal, il va très vite s'imposer par son autorité naturelle. Devenu patriarche d'une enclave de civilisation rurale, il impose, pour le bien de ce peuple enfant que lui seul semble pouvoir sauver de lui-même, des règles que lui dicte son bon sens. Polygamie, obligation de procréer et strict contrôle du savoir (matérialisé notamment par son refus d'apprendre à lire et à écrire aux enfants, à moins que, devenus adultes, leurs fonctions au sein de la communauté ne les y oblige). Son exaltation de la rusticité sur fond de « c'était mieux avant » serait tout simplement risible, si le contexte ayant présidé à sa rédaction ne le teintait pas d'une complaisance coupable à l'égard des rengaines vichyssoises de l'État Français et de la Révolution Nationale.

    Un soupçon qu'il est légitime d'entretenir à la lecture de Ravage, et qui est largement corroboré par un faisceau de présomptions. Au point qu'à la Libération, Barjavel se voit inscrit sur la liste noire des écrivains ayant collaboré. Ce dont l'auteur s'est toujours défendu. D'une part en précisant qu'il avait été retiré de cet index à suite de l'intervention providentielle d'un académicien y siégeant, et d'autre part en arguant de son antimilitarisme. Bien entendu, l'argument vaut ce qu'il vaut. On se souviendra que Céline, aussi, était violemment antimilitariste, ce qui ne l'a pas empêché d'être un salaud (génial, certes, mais un salaud tout de même).

    Alors oui, je sais ! Il est toujours facile de se forger une opinion à l'ombre de la démocratie victorieuse, mais l'on ne reproche pas à Barjavel de ne pas avoir été Vercors ou Mauriac. Ils ne sont pas si nombreux, les écrivains qui avaient choisi la Résistance, et nul ne songerait à jeter la pierre aux autres. Mais tous n'ont pas publié dans Je suis partout, le torchon collaborationniste dont Brasillach (seul écrivain français exécuté à la Libération) fût prié de quitter la rédaction en chef, car il était jugé « trop mou ».

    Cette période trouble dans la biographie de Barjavel est d'ailleurs un aspect de la question qu'élude un peu vite Marianne Chomienne, responsable du dossier, par ailleurs solide, qui accompagne cette nouvelle édition augmentée. En ne relevant que mollement, avec quelle adéquation les thématiques du roman s'adaptent à la propagande de Vichy (notamment celles du retour à la Terre, et de l'expiation des fautes passées), elle refuse d'ouvrir le débat.

    Pas plus qu'elle ne s'interroge sérieusement sur la légitimité SF de Ravage. Elle cite pourtant d'autres références de l'imaginaire, telles que Rosny Ainé, Verne – bien-sûr –, mais aussi Huxley ou Bradbury, ouvrant ainsi sur d'autres fondamentaux du genre. Elle cite aussi quelques-uns des noms les plus intéressants du merveilleux scientifique : Maurice Renard, Jacques Spitz, Jean de la Hire ou Régis Messac. Ce qui ne manque pas de laisser perplexe, car se faisant, Marianne Chomienne aurait logiquement dû remettre en question le prétendu rôle de père fondateur de la SF, habituellement dévolu à Barjavel.

    Perplexe surtout, car tous les auteurs précédemment cités, s'ils ont généralement une plume bien mieux trempée, ont tous une vision beaucoup plus claire de ce que doit être un roman de science fiction. Certes, stricto sensu, Rosny Ainé n'en écrivait pas encore, mais son approche était déjà d'une modernité et d'une rigueur autrement plus intéressante que celle de Barjavel. Alors, je pose la question : pourquoi continue-t-on de voir dans Ravage (et éventuellement La Nuit des temps), l'exemple scolaire parfait de science fiction à la française ? Car soyons clair : ou bien l'on sous-estime la dimension comique de Ravage – déjà relevée à sa sortie par Henri-François Rey, critique littéraire pour la revue pétainiste Idées –, ou on admet une bonne fois pour toute que Barjavel est au merveilleux scientifique ce que Bernard Werber est à la science fiction. Quoi qu'il en soit, il est bien certain qu'il n'est en rien le père de la science fiction française. Les raisons de cette usurpation sont certainement à chercher dans le manque de curiosité de bon nombre des professeurs de français, qui persistent à n'y voir qu'un genre mineur, car ils l'analysent selon une grille de lecture généraliste. Raison pour laquelle de mauvais auteurs de genre, comme c'est le cas pour Barjavel, voient leur œuvre largement surévaluée. Il est alors intéressant de se demander pourquoi on refuse à la science fiction un corpus analytique approprié, alors qu'il ne viendrait à l'idée d'aucun professeur de français de faire l'économie d'une méthodologie idoine pour parler d'un polar ? Pourtant, les germes de la pensée prospective sont aujourd'hui suffisamment ancrés dans la culture mainstream pour qu'on évite ce travers.

    Misogyne (un travers, certes, courant de la littérature de l'époque), réactionnaire, illogique, dénué d'une vraie réflexion sur l'avenir, Ravage condense à lui seul tout ce qui ne fait pas un roman de science fiction. Pire, il se pose presque, en 2007, en contre-exemple parfait. Il est donc grand temps de se rendre compte que son étude en collège n'est plus qu'une mauvaise habitude, dont des collections comme Folio classiques se rendent complices, et de passer à des références sinon plus actuelles, du moins plus pertinentes.

     

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  • Vous ne connaissez sans doute pas Jean-Eric Valli. Normal, il est discret, et œuvre à le rester. Un effort de tous les instants, quand on est l'un des hommes les plus puissants du paysage radiophonique.

    PDG de Vibration – micro-réseau qui détrône sans difficulté NRJ dans la région d'Orléans –, il est aussi PDG du groupe START, qui s'est annoncé prêt à acheter toute radio indépendante qui serait à vendre. Dans son escarcelle sont déjà tombées Ado FM, Voltage, Wit FM et Sud Radio, Black Box, etc... Et on ne parle que de celles qui ont officiellement « rejoint le groupe » (terme que Jean-Eric Valli préfère à « a été racheté »). Il est nettement moins aisé de parler de celles qu'il contrôle en sous-main, en vue d'un rachat prochain. Mais de fait, quelque soit la méthode, START est en passe de devenir l'un des plus gros groupes radio de France. Un groupe d'un genre nouveau, complètement délinéarisé, sans ligne éditoriale, sans même une enseigne à mettre en avant. Une sorte d'anti-NRJ. Seule ligne directrice commune : une méthode de management « à l'américaine » ; mais avec cette vision étrangement féodale de l'atlantisme patronal que défend si ardemment le MEDEF. L'arrivée du groupe START dans une radio s'annonce par celle de ses redoutables cost-killers. Sorciers comptables qui rebalancent les comptes en berne par la seule grâce d'un puissant coup de machette dans la masse salariale.

    Ce qui est intéressant, c'est de s'interroger sur ce qui motive une telle frénésie d'achats. La plupart de ces radios sont en difficultés financières, et certaines œuvrent même sur des formats qui ne suffiront pas à leur assurer une rentabilité suffisamment attractive pour un groupe tel que START.

    À l'inverse de Jean-Paul Baudecroux, le patron de NRJ, lorsqu'il se lance dans l'aventure de la FM, en 1983, Jean-Eric Valli est un passionné de radio. Assez rapidement, il parvient à assoir la notoriété de Vibration, et à l'étendre jusqu'aux limites de Paris. Il devient un homme avec qui il faut compter. Un homme qui a suffisamment de poids pour créer en 1992, le G.I.E. des Indépendants. L'idée est lumineuse. Regrouper une douzaine de petites radios locales privées, et vendre une partie de leur espace publicitaire à de grosses centrales d'achat, qu'individuellement, aucune n'aurait eu assez de poids pour démarcher. Du temps d'antenne au kilo en quelque sorte.

    Quinze ans plus tard « le GIE » est plus que florissant. Il rassemble aujourd'hui 490 fréquences, couvre 88.5 % de la population et touche journellement 7.8 millions d'auditeurs. Commercialisé par la régie de Lagardère, il a fait trembler le puissant groupe au moment de la renégociation de contrat, il y a quelques années, en brandissant le spectre d'aller voir ailleurs. C'est toujours Jean-Eric Valli qui le préside, et qui en a fait un puissant levier de contrôle. Car pour la plupart de ces indépendantes, les revenus issus du GIE oscillent entre 40 et 60% de la totalité de leurs rentrées publicitaires. C'est énorme, car même les poids lourds de son bouquet, comme Alouette en Vendée, Scoop à Lyon, ou Contact à Lille, en dépendent presque entièrement pour leur survie.

    Une formidable réussite qui ne doit pas faire oublier un point important. Comment se fait-il que l'homme qui a la main-mise sur « la première offre radio nationale », puisse aussi être celui qui rachète pour son propre compte les stations qu'il propose dans son bouquet offert aux annonceurs ? Et surtout, comment le CSA, qu'on connaît plus vétilleux sur des questions, il est vrai, de bien moindre importance, parvient à ne trouver aucune contradiction (au moins déontologique) au fait que la même personne vende aux grosses centrales d'achat, les espaces publicitaires de ses propres radios. Espaces sur lesquels – donc – il sera rétribué une seconde fois ?

    La réponse est hélas d'une simplicité biblique. Pour discret qu'il soit, Jean-Eric Valli n'est pas un homme à qui on dit non. J'en veux pour preuve l'insolite odyssée du rachat par le groupe START de Radio Latina, à Paris.

    Dans le courant de l'été 2006, le groupe annonce le rachat de la station. Les préparatifs à la cession vont bon train, lorsqu'en septembre – coup de théâtre –, le CSA émet un avis défavorable, et casse la vente, au motif que START, déjà propriétaire de Voltage et d'Ado à Paris, initierait un processus de concentration néfaste à la diversité de l'offre radiophonique sur la capitale. Le CSA, ne fait ici que son travail d'autorité de régulation, en permettant à Paris de garder l'une de ses quatre dernières stations authentiquement indépendantes. Mais en décembre, nouveau revirement, la vente est rétablie. Des garanties auraient été négociées. Du coup, nous voilà rassurés.

    Évidemment, on ne saura pas grand chose des dessous de cette reculade piteuse du CSA. On se contentera de prendre la chose avec un certain fatalisme. Personne ne doute de l'inutilité embarrassante de cette institution grassouillette qui vit des deniers de l'Etat pour entretenir à grand frais l'insigne privilège de lui servir de bonne conscience. Car le CSA est un peu comme un paratonnerre souterrain, une poubelle sans fond ou une valise sans poignée. Il n'est que le cache-honte d'un pouvoir qui n'a finalement jamais réussi à se défaire de ses mauvaises habitudes d'ingérence dans le domaine de l'audiovisuel. Le CSA n'est guère qu'un contremaitre mesquin, léonin avec les modestes, servile avec les puissants. Lui, si prompt à ratiociner et rappeler à l'ordre la moindre petite radio qui faillirait au respect inconditionnel des fameux 40% de chansons françaises, s'accommode sans grands états d'âme du sort en rouleau triple épaisseur que TF1 réserve à ses mises en demeures régulières pour non respect de la durée des écrans pub.

    Pusillanimité, collusion, vassale génuflexion... Jean-Eric Valli et ses semblables peuvent dormir tranquilles. Les courbeurs d'échines veillent au grain.


    inédit





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  • D'abord les petites notes aigrelettes du She's Like A Rainbow, des Stones. Puis une belle voix off, bien timbrée dans les médiums graves. Rassurante. Vaguement ironique aussi.

    "Quand j'ai rencontré Fred, il hésitait entre la musique et l'informatique..."

    C'est ainsi que débute le spot de la nouvelle campagne Manpower. Fédératrice la campagne. Elle doit plaire aux jeunes, alors Fred a une dégaine d'abonnés à Magic - la revue pop moderne -. On a même droit à un plan en salle de répète, avec look à la Rivers Cuomo. Pas très raccord avec la B.O du spot, mais pas grave.

    Mais elle doit plaire aux vieux aussi. Alors le Fred, on va te le reprendre en main, tu vas voir. Ça va pas traîner l'affaire. Trente secondes chrono.

    De suite Medium Grave lui trouve un boulot dans l'informatique. Mais nous on voit bien que Fredo, il a quand même pas l'air très doué tout empêtré dans ses câbles. Medium Grave aussi d'ailleurs, il l'a bien vu. Peut-être même qu'il l'a vu avant nous, parce qu'il est top compétent Medium Grave. Alors – ni une ni deux – il lui propose "une formation de commercial dans l'informatique". Et là, c'est la révélation. Quasi le flash mystique ! Fred, il a trouvé sa place. À l'écran d'ailleurs on le voit bien. Exit les T shirts et frocs de slackers. À la place, c'est costard cravate et petites lunettes d'écailles. Mais attention, il a pas totalement abdiqué sa rebelle attitude le Fred. Il se refuse à complètement domestiquer sa tignasse – marque ostentatoire de son originalité – et il porte la cravate négligemment déserrée, pour bien montrer qu'il est pas du genre à se laisser imposer son mode de vie par le système. Ah il est comme ça Fred. C'est un esprit libre ! Ouais... un esprit libre...

    C'est sans doute pour ça qu'il bosse en interim. Enfin, bon, il est libre, mais pas con non plus. Alors quand on lui a proposé un CDI, Fredo, il a accepté. Faut dire que c'est un bon. Tellement bon, qu'aujourd'hui, "il dirige sa propre PME". Et devinez quoi ? Il a justement rendez-vous avec Medium Grave, parce qu'il a besoin de recruter un informaticien. Et Medium Grave nous dit qu'il va lui présenter Fred, une petite boulotte à l'air rêveur qui "hésite entre l'informatique et... enfin vous connaissez l'histoire."

    Et là on signe : "Manpower. À vos côtés, pour mieux vous développer."

    C'est ça l'effet Manpower. Développer.

    Prenez le cas de Fred. Jeune inconséquent, qui aime la musique au point de – imaginez un peu – envisager d'en faire son métier. Un branleur quoi... Mais heureusement, il pousse un jour la porte d'une agence Manpower, et là, il va se trouver quelqu'un pour le ramener au cœur des vraies valeurs de notre société moderne. Le faire réintégrer une France qui travaille et se lève tôt. En passant à l'âge adulte Fred va découvrir les piliers de l'économie de marché, hors de laquelle point de salut : force de vente, flexibilité salariale et envie d'entreprendre. Et tout ça grâce à Manpower.

    Et hop ! Encore un jeune de sauvé.

    C'est presque avec ce genre de dialectique, que dans l'Amérique des années 50, on en était venu à vouloir guérir de l'homosexualité avec des électrochocs.

    C'est Jacques Séguéla, qui a – au milieu des très nombreuses conneries qu'il a proférées – affirmé que la publicité vendait du rêve. Mais c'est je crois la première fois qu'une agence axe toute sa campagne sur l'annihilation des rêves de jeunesse. Signe des temps, j'imagine. Très en phase, au fond, avec cette France de demain, où ensemble tout devient possible... dès l'instant qu'on accepte de rentrer dans le rang.

    Ce qui est amusant c'est de se souvenir que cette campagne n'existe que par la fédération des compétences de gens qui ont – eux – fait le choix exactement inverse. Créatifs, décorateurs, réalisateur, cadreurs, monteurs, comédiens. Jusqu'à la bande son, émanation évanescente d'une formation qui, en son temps, a su symboliser le refus total des conventions et d'une norme préétablies. Des marginaux, en somme qui ont refusé de se "Fredifier".
    medium_EricH copie.png


    inédit

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