• Avez-vous les statistiques de l'humour ?

    Les nouveaux ploutocrates de la Culture n'émargent plus à une quelconque coterie parisienne. Ils ne sont pas adeptes d'un fumeux concept ou zélotes d'une école "Nouvelle-Quelque Chose". S'ils règnent en maîtres sur la musique, le cinéma, la télévision ou la radio, c'est justement parce qu'ils sont complètement, absolument, résolument dénués de la plus petite étincelle de goût. Les statisticiens, consultants marketing, panélistes, tous ces vétilleux comptables de l'impalpable et autres entomologistes de l'immatériel sont devenus les Führers du marché de la Culture, et Médiamétrie est leur Reichstag Millénaire, tout à la fois temple de l'Aryanisme artistique et oracle définitif du Beau. Et quoi de plus Beau qu'un annonceur signant le bon de commande d'une campagne, si ce n'est peut être la courbe artistement ascendante d'une mesure d'audience, délicatement ombrée par la grâce des options graphiques offertes par Microsoft Excel™©®.


    Ne nous leurrons pas, ce n'est jamais que la continuité de la vieille guerre de l'esprit et contre la matière, ravaudée à coups de matérialisme et de rationalisation. Mais cette fois, les nouveaux dictateurs du Beau ont pour eux le bon droit. Comprenez, la loi du marché.



    Inutile de jouer les Tartuffes. Depuis le jour où un lourdaud poilu un peu moins lourdaud que les autres a accepté de peindre un auroch sur la paroi d'une caverne en échange d'un cuissot de renne, l'art est mercantile. De Leonardo au Clos Lucé, à Bowie se plaçant pour une marque d'eau qui restaure votre vitalité, l'art a toujours été une histoire d'argent.


    Certes, mais doit-il nécessairement nécessairement être rentable ? Doit-il, lui aussi succomber à cette hallucination collective qu'est l'économie de marché comme moteur naturel des rapports humains ?



    Alors que depuis des siècles, et en dépit de tentatives acharnées, personne n'a finalement pu s'accorder sur une définition du Beau, celle de la rentabilité en revanche ne diffère d'un esthète du bilan à l'autre que sur des détails de mise en œuvre. Une différence d'approche qui démontre que leur mariage est, par essence impossible. Tout comme jamais l'huile ne se mélangera à l'eau et jamais le Poillac n'ira sur le Sauterne. Défi insupportable pour celui pour qui – technicien mécaniste ou nouveau riche grossier - l'essence sera toujours ce qu'on met dans un moteur.


    Deux camps, deux visions du monde, et une guerre feutrée qui fait rage dans les salles de réunions des officines spécialisées dans l'art ou la culture. Partout en fait où le Nouvel Ordre Esthétique du chiffre roi s'en vient définir les nouveaux canons du Beau, par la bouche de ses oracles modulaires : les consultants. Tête haute levée, vers le firmament inatteignable du 100% de mille ans, ils arrivent avec un catéchisme simple : les chiffres parlent. Simple question de point de vue à vrai dire, car lorsqu'ils parlent, les chiffres ne font que ce qu'ils ont toujours su faire le mieux, c'est-à-dire compter. La grammaire est simple, trop peut-être pour que les servants de l'audience et de la courbe de croissance ne puissent en saisir une autre, celle de l'art, qui est infiniment plus subjective celle-là.



    Au rêveur qui s'interrogerait sur le bien fondé de leurs édits, ils répondent par un mantra qu'ils se récitent pour ne pas avoir à le graver au frontispices des locaux de leurs clients. "Les chiffres ne mentent pas". Soit... mais alors dans ce cas qu'ont-ils à faire dans une discipline où, précisément, tout n'est qu'un délicieux mensonge ?


    Car si, au moins, les consultants se cantonnaient à leur rôle de statisticiens, l'affront ne serait pas si grand. Mais ils se piquent d'avoir du talent. Un mélange des genres douteux, sans doute né du vieux fantasme de l'homme de la Renaissance à la Française, et qu'habite encore la pieuse mémoire de Montaigne. "Mieux vaut une tête bien faite..." paraît-il. Dogme commode et alternative terrifiante à une tête bien pleine d'idées, de rêves, de folie et de doute.



    Ce doute, si salutairement nécessaire aux disciplines artistiques, et Terra Incognita pour les sectateurs tatillons de la statistique, dont la seule raison d'être est son élimination drastique.


    Il est clair que ce viol à la hussarde, ne peut guère engendrer qu'un hongre, un bovillon stérile qui aura bien du mal à assurer sa descendance.











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