Boys In the Band
de David Brun-Lambert
Devait-on
s'attendre à plus de pertinence de la part d'un ancien journaliste
musical de Radio Nova, travaillant aujourd'hui pour Couleur 3, la radio
indie de Lausanne, ou au contraire le survol dilettante de son intrigue était-il prévisible ?
Que
l'étrange fascination pour un groupe aussi grotesquement surévalué que
The Libertines ait été le moteur de sa fiction ne suffit bien-sûr pas à
disqualifier ce premier effort de romancier. Après tout, ce quatuor
anodin que la
hype
londonienne avait propulsé sauveur du rock peut parfaitement fournir un
réservoir d'enjeux dramatiques tout à fait acceptables. Seulement
voilà, très vite on se rend compte que Brun-Lambert est fan, et qu'il
va devoir tisser son intrigue ainsi lesté d'une encombrante admiration.
Une admiration qu'il va méritoirement s'efforcer de dépasser, mais sans
jamais y parvenir.
En choisissant pour narrateur Carl Barât, il
donne d'emblée le ton : nous serons les observateurs de la dérive du
groupe, dans le sillage de la dégringolade de Pete Doherty.
Pour ceux qui n'avaient pas suivi, en 2002 The Libertines sortent de nulle part avec
Up The Bracket,
un premier album produit par Mick Jones, l'ancien guitariste des Clash,
et une réputation sulfureuse de branleurs déglingués. Le duo fondateur
du groupe Carl Barât et Pete Doherty ressuscitent assez le vieux
mythe du créateur bicéphale à la Jagger/Richards pour, commodément,
donner du grain à moudre à une presse spécialisée blasée, mais à
l'affût de sa sensation hebdomadaire. Mieux même, les deux amis se
foutent régulièrement sur la gueule et se taillent une image de
losers magnifiques.
Domaine dans lequel Doherty va rapidement prendre une solide avance.
Idiot patenté, accro à l'héroïne, puis au crack, il va devenir une
parodie de junkie dont les tabloïds vont s'emparer, amplifiant encore
le phénomène. L'affaire culminera avec sa fuite du temple bouddhiste où
il s'était finalement fait admettre en désintoxication et une piteuse
tentative de cambriolage au domicile de Carl Barât.
Le groupe
explosera en vol en 2004 après la sortie de son second album. Doherty
s'en ira fonder le très insuffisant Babyshambles et Barât, après un
album de rédemption constitué de reprises, formera Dirty Pretty Things
avec Gary Powell, l'ancien batteur de The Libertines.
On ne peut
donc pas dire que la matière faisait défaut à David Brun-Lambert. Un
matière qu'il a vraisemblablement étoffée d'une documentation
exhaustive : interview, articles, chroniques, etc... Au final, même si
le sujet n'avait rien de bien emballant, on était en droit d'espérer un
roman jouant habilement sur la tension entre fiction et faits réels. Un
peu à la manière dont Tommasso Pincio l'avait fait avec son
Amour d'Outre-monde, à propos de Nirvana.
Sauf que non.
Jamais
au cours du roman, on ne parvient à oublier le travail laborieux
d'archiviste effectué par l'auteur. En dépit des quelques timides et
gratuites tentatives de déconstruction de son récit, qui ne
parviennent guère qu'à nuire à la lisibilité, on reste dans une
histoire non-écrite avec une application scolaire. Les vides laissés
par ce qu'il n'a pu découvrir dans les interviews sont comblés avec des
clichés éculés qui interdisent à ses personnages de s'incarner
vraiment. Trop succinctement biographique pour être pertinent et pas
assez caricatural pour être personnel, Brun-Lambert reste le cul entre
deux chaises. La prose est plate et tout à la fois portée sur la
posture, elle est inconsistante, mais cherchant (sans y parvenir)
l'évocation.
Certes, l'exercice de la biographie fantasmée est
difficile, et en 160 pages on n'a pas tout à fait le temps de
s'ennuyer. Mais on a largement celui de regretter son argent. Car on
une fois le livre terminé, il ne reste qu'un grand vide à peine comblé
par un produit vaguement branchouille dans son sujet, sans flamboyance
dans son traitement et pas assez épais pour caler l'armoire de mémère
Marcelle. Dispensable.
Inédit