• Cyberpunk's not dead !

    Est-ce qu'avoir la vie dure est le destin naturel de toute étiquette se rattachant au rock, qui lui non plus n'en fini pas de mourir à ce qu'on dit.

    Comme Alan Freed, qui en 52 est sensé avoir lancé l'expression "rock'n'roll", c'est à Gardner Dozois, alors rédacteur en chef de Asimov SF Magazine, qui revient la gloire discrète et contestable de ce collage de mots pour le moins contre-nature : cyberpunk.

    L'expression en tout cas fait mouche. Normal, Dozois l'a piquée dans une nouvelle de Bruce Bethke, datée de 1980 et tout simplement intitulée Cyberpunk.

    Toutefois lorsqu'en 1981, Sterling publie dans Interzone ce qu'il considère comme le manifeste du cyberpunk, un article intitulé New Science Fiction, pas une seule fois le mot n'apparaît.

    Logique, ils ne sont pas encore les Cyberpunks. Ils ne le deviendront d'ailleurs qu'à leur corps défendant. En revanche ils sont énervés, ils en veulent, ils bouillonnent d'idées baroques et de théories fumeuses, ils se considèrent en état de siège et ils ne supportent tout simplement pas les diktats de l'édition. Bref, ils sont jeunes !

    Comme ce ne sont encore que des petits cons arrogants, ils ne se lassent pas de compisser une SF endormie où les mêmes clichés éculés sont répétés à l'envi. En revanche ils élèvent un culte flatteur autour d'une poignée d'auteurs choisis : Harlan Ellison pour son goût de la provocation, Samuel Delany pour sa puissance visionnaire, Norman Spinrad et sa propension au foutage de merde, Michael Moorcock et ses élans rock, et surtout, plus que tous les autres J.G Ballard, la plus radicale et la plus ouverte de leurs influences. Des auteurs qui n'ont eu peur ni de l'expérimentation, ni de l'implication politique. Des auteurs qui ont des choses à dire. En quête de vérité. Une définition qui correspond aussi à ce collectif de jeunes branleurs.

    Ils ont la hargne. Ils ont l'attitude aussi. Déclarations fracassantes et formules à l'emporte pièce comme "clairvoyance technologique" ou "acuité conceptuelle". Leur écriture est engagée, leur fiction évoque une guérilla urbaine. Les critères de qualité et d'esthétique qu'ils s'imposent les font osciller entre le brûlot et la choucroute caramélisée. La ration de guerre et la fondue au chocolat. Mais au fond qu'importe, ils essaient, ils sont dans l'urgence. Ils sont en mission.

    Dehors la technologie envahit le quotidien. Bill Gates, un binoclard à tête d'œuf est sur le point de sortir un truc qui va révolutionner la planète : Windows 1.0. Au pied des buildings de Wall Street des traders, (forcément) républicains et pétés d'oseille, délaissent les écouteurs de leurs walkmans Sony™ et la cassette de Thriller qui va avec le temps de passer un coup de fil sur leur Motorola dynaTAC TM 8000X©. A deux pas de là, en remontant Broadway sur quelques blocs, des mômes écoutent sur leurs tout nouveaux ghetto blasters les sons bricolés de l'autre côté de l'East River sur des platines pourries avec de vieux disques rayés.

    C'est une décennie de fric, de fracture sociale avec des vrais morceaux de misère abjecte dedans. Le soir les rues se remplissent de freaks mi travelos, mi keupons qui courent le fix. Autour de Central Park la fumée des braseros que les homeless ont allumés dans l'espoir futile de faire reculer de quelques mètres le froid glacial de l'hiver importune le yuppie au Motorola qui s'est rentré, là-haut, dans son 200 m² de la 5ème Est. Les flics venus les déloger en urgence n'auront pas le temps de s'arrêter en chemin pour empêcher le viol collectif d'une jeune noire. Pas grave, elle est noire. 911 Is A Joke, comme le chantera plus tard Public Enemy.

    La fiction de nos jeunes auteurs colle remarquablement à l'ère du temps. Contes tristes d'une société qui s'est déjà engagée dans un himmelman en dessous du plafond qui la conduira inévitablement au crash. Des décombres de l'explosion sortira la prose bricolo de joyeux anars, inégalement doués, mais qui tous raconteront l'histoire du suicide de l'Humanité.

    Il faudra attendre 1984 et la sortie du Neuromancien de Gibson pour que l'assimilation se fasse. Ce nouveau collage de mots insolite, est un peu comme un précipité des préceptes du "Mouvement". Magie, technologie, un peu des deux et ni l'un ni l'autre, quoiqu'il en soit après l'immense succès du Neuromancien l'étiquette va coller pour de bon, sans que ni Gibson, ni Sterling, ni Shiner ne fassent beaucoup d'effort pour s'en débarrasser. C'eût été vain de toute manière. Et puis il faut bien le dire, l'expression est flatteuse. Bien trouvée. Elle leurs rend assez bien justice. Cyber, oui, indubitablement, avec leurs implants neuraux, leurs hackers, leurs réalités virtuelles, mais punks surtout. Débine, défonce, défiance du capitalisme, envie de faire exploser les carcans. Ils ne sont pas si loin du nihilisme présumé d'un Richard Hell, ou d'un Johnny Thunder qui était capable "d'arracher la défaite des mâchoires de la victoire" comme le disait de lui Wayne Kramer. La révolte des Cyberpunks répond si bien à celle des groupes de l'époque : les Voidoids, Dead Boys, Germs, Ramones et autres Dead Kennedys. Que d'ailleurs leur fiction colle si parfaitement à la musique de villes dont aucun n'étaient originaires (sauf Rucker qui a suivi ses études à New York) atteste du timing idéal de leur écrits.

    Mais tout comme le Rocket To Russia des Ramones à sonné, dans une certaine mesure, le glas du punk US, Neuromancien, a forcé les Cyberpunks à assumer le rôle qu'on voulait bien leur faire tenir. Anarchistes, fouteurs de merde, nihilistes, anti-humains, autant de clichés de seconde main qui les ont tous mis, à un moment donné, sur la touche, pendant que la grande machine éditoriale reprenait à bon compte le baroque de leurs univers pour en livrer une version light, sans cholestérol, et surtout sans danger. Et toute une horde de tâcherons de s'atteler dès lors à une SF Hi-Tech en carton qui n'est au mouvement originel que ce que Billy Idol fût au punk.

    Les Cyberpunks ont payés le prix de leur jeunesse. En colère mais naïfs, déterminés mais peu avisés, jeunes quoi ! ils sont tombés dans le piège tendu pour eux par la Grosse Machine. Et cela c'était inévitable. Reste toutefois, qu'à bien y regarder, remarquablement peu d'entre eux se sont reniés. Le genre s'est galvaudé jusqu'au ridicule, mais les convictions qui animaient cette bande de jeunes aspirants écrivains au début des années 80, elles, sont restées les mêmes.

    Preuve en est, cette Identification des schémas que livre aujourd'hui celui qui reste le plus génial de leurs vétérans. Alors on peut bien ricaner (et moi le premier) des excès de vanité de ceux qui furent les Cyberpunks, mais au final, dehors, rien n'a vraiment changé en vingt ans. C'est toujours la guerre contre le même système et si l'on a l'impression que rien ne bouge, c'est peut-être qu'il est temps pour nous de se demander où sont passés les combattants.



    Archives - Août 2004



     



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