• Vermilion Sands


    de J.G Ballard


     


    La science fiction de James Graham Ballard est réputée difficile et extrême. Affilié à la New Wave britannique de la fin des années 60 aux côtés de Michael Moorcock et Brian Aldiss, il est l'un des piliers de la revue New Worlds, et assoit sa réputation sur des textes expérimentaux et provocateurs tels que Crash, L'Île de béton ou I.G.H.

    Assez loin des techniques de narration empruntées aux auteurs de la beat generation, notamment William Burroughs, et qu'il expérimentera dans des œuvres comme Le salon des horreurs, derrière la sensualité ophidienne de ce titre –Vermilion Sands– se cache la rencontre improbable entre Ray Bradbury et Scott Fitzgerald.

    Si ces neuf nouvelles ayant toutes pour théâtre une étrange station balnéaire, nous rappellent Les chroniques martiennes, la couleur des textes nous ramène, elle, à la prose lancinante de Gatsby le magnifique.

    Peuplée de riches oisifs ayant élevé l'ennui au rang d'art de vivre, Vermilion Sands, s'étend sur les kilomètres de côtes désertiques d'une mer ensablée. Chaque nouvelle lève un coin du voile sur la faune hors du temps qui hante ce pendant en forme de ville fantôme du Long Island des années vingt.

    Poètes assistés par ordinateurs, sculpteurs de nuages, fleuristes spécialisés dans les plantes chanteuses, artistes soniques ou agents immobiliers pour maisons quasi-vivantes, sont autant de pourvoyeurs de plaisirs subtils destinés aux riches stars recluses et autre milliardaires désœuvrés qui ont fait de Vermilion Sands leur villégiature estivale. Ici, et seulement ici, le merveilleux s'entremêle à la trame du réel. Comme s'il ne pouvait s'offrir qu'aux plus raffinés spécimens du genre humain, ceux ayant dépassés le stade d'un ennui par trop plébéien pour s'enfoncer dans l'attente languide de l'heure qui vient.

    Neuf nouvelles parfaitement ciselées et sur lesquelles plane un soupçon d'élitisme fossile allongé d'un doigt de lassitude, comme on allonge un dry martini d'un trait de vermouth. On se laisse facilement gagner par cette lecture paresseuse et élégante, dont on perçoit la vanité parfaite et donc essentielle. On se glisse dans la stase de cet éphémère qui n'en fini plus de durer. On attend la fin du rêve. Que le charme se brise, car bien-sûr, il se brisera. Nécessairement.

    Neuf nouvelles inventives et diaphanes, qui parfois vous échoueront sur les rivages arides de l'abstrait, qui pourront vous assécher comme une rose des sables, mais qui ne pourront pas vous laisser indifférent.

    Vermilion Sands
    est une introduction parfaite au monde de Ballard. Réputés difficiles ses textes ne sont peut-être qu'atypiques, mais ils sont surtout très réussis. Le maniérisme participe de cette atmosphère délétère, qui en fait une œuvre rare. On y entre comme dans un tableau de Dali, pour ressortir sens dessus dessous. C'est une expérience qu'il vous faut tenter.


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  • La Cigale chantera-t-elle tout l'été ?

    de Francois Dibot



     


    Revoilà la SF de barricade, qui hisse le drapeau noir. Sous les pavés, la page. Les Editions Libertaires annoncent dès le départ la couleur dans une intro, qui tient presque du tract, et qui nous est adressée depuis "Quelque part dans les maquis de la résistance à l'intolérable". Nous sommes en Anarchie, et, avec une jubilation militante, on y souhaite encore au capitaliste de crever la gueule ouverte. Bien plus que rafraîchissant, c'est finalement assez salutaire.

    Très impliqué dans la vie associative, François Dibot fait partie de ces hommes qui tentent de faire vivre leurs idéaux au quotidien, et qui pense qu'il fût un temps où la science fiction était une littérature bien plus engagée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Doù pour tenter d'y remédier, ce court recueil.

    Tout d'abord on est agréablement surpris par l'excellente présentation de l'ouvrage. Couverture soignée, nombreuses et belles illustrations intérieures. Loin des canons de la littérature libertaire, qui maquette généralement à la photocopieuse, on est ici dans l'amour du livre, et c'est déjà suffisamment notable pour être salué comme il se doit.

    Une science fiction, donc, au service d'idéaux. Société plus égalitaire, plus respectueuse de l'humain, moins – beaucoup moins – asservie aux lois d'un marché qu'on nous présente à tort comme l'état naturel des rapports humains. Une science fiction, au fond, qu'un esprit chagrin pourrait qualifier d'un autre âge, mais qui n'est hélas que bien trop en phase avec le nôtre. Car c'est presque vers la prospective que lorgne François Dibot. Chacune de ces six nouvelles s'axe autour d'une extrapolation – souvent à peine outrée – de notre futur proche. Privatisation de l'éducation pour Je mets les pieds dans le plat de mon père, très joli récit autour de la transmission du savoir, et de l'absolue nécessité de sa gratuité (à tous les points de vue), corporatisme avec G-8, parlementarisme clientéliste avec 49-3, etc...

    Fiction au service des idéaux, mais hélas parfois aussi en service commandé, comme c'est le cas pour ces deux dernières nouvelles, où Dibot pêche un peu par excès de militantisme. La finesse de sa plume et la richesse généreuse de sa langue ne suffise pas à faire primer l'histoire sur la démonstration. Car on préfèrera, et de loin, le renoncement évoqué dans Je mets les pieds dans le plat de mon père, la poésie à façon de Jeu ou la perfidie lasse de La Femme à venir est un homme ! On préfère Dibot dans l'évocation, car sa prose s'y prête. Délicatement travaillée, comme le ferait un artisan, elle sert bien mieux son propos ainsi. Plane alors, comme le parfum un peu sucré de la pourriture d'une société en décomposition. Et pourtant, pourtant, François Dibot se refuse au désespoir. "Même quand il est trop tard, il n'est jamais trop tôt !". La Cigale chantera-t-elle tout l'été ? sert une cause, et le clame haut et fort dès son préambule. C'est sans doute pourquoi on ne parvient jamais vraiment à se dire qu'on lit un recueil de nouvelles comme les autres, avec ce que cela implique de bon et de mauvais. Mauvais, car il devient difficile de dissocier l'homme et l'œuvre, du combat, spécialement quand il verse dans la didactisme. Bon, parce que sa cause, est notre cause, et qu'en se refusant à ne jouer que les pythies, François Dibot mets plus dans ces quelques pages que bien des auteurs n'en mettent dans toute une œuvre.

    Archives - décembre 2005


     



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  • La trilogie Ā


    de A.E Van Vogt







    Alfred Elton Van Vogt est un auteur à la fois très culte, et très méprisé. A raison dans les deux cas, mais sans doute exagérément, là encore dans les deux cas.

    Culte parce qu'il fût l'un des piliers de l'Astounding Stories de John Campbell, et que son influence, spécialement en France, est indéniable.

    Méprisé, parce qu'outre un prénom inassumé, Van Vogt a partagé avec Lafayette Ron Hubbard une prédilection marquée pour l'image du surhomme. Prédilection qui l'a conduit à suivre durant de nombreuses années le fondateur de la scientologie dans ses errements, au détriment de sa propre carrière littéraire. Ce choix lui coûtera son public et l'estime de certains de ses confrères.

    Par conséquent, c'est une indifférence relative et polie qui accueillit la nouvelle de sa mort début 2000.

    La Trilogie du Ā est exemplaire de ce qu'est l'œuvre de Van Vogt. Trois livres qui s'ils ne suffisent pas à résumer toute sa carrière, en illustrent parfaitement tous les paradoxes.

    Pardon d'avance d'être aussi direct mais, écrit respectivement en 1945 et 1948, Le Monde des Ā et les Joueurs du Ā sont deux romans parfaitement exécrables.

    Bien qu'auréolés de la flatteuse réputation d'être à l'origine de l'engouement du public français pour la science fiction (car engouement il y eût, figurez-vous !), et malgré une traduction de Boris Vian, ses deux premiers volumes sont tout à la fois mal écrits, mal construits et idéologiquement suspects.

    Abusant du concept fumeux de "fixed-up stories" dont il revendique fièrement la paternité, Van Vogt, se contente de rattacher entre elles plusieurs nouvelles parues dans Astounding pour livrer l'improbable histoire de Gilbert Gosseyn, zélateur de la philosophie Ā, embringué dans un complot alien absurde qui vise à la domination de la Terre, pour des raisons somme toute assez obscures.

    Tout commence pour Gosseyn lorsque, prêt à participer aux Jeux de Machine qui doivent désigner les meilleurs non-A pour les plus hautes fonctions, il découvre qu'il n'est pas celui qu'il pensait être. C'est sa maîtrise du Ā qui lui permet d'admettre facilement cette nouvelle réalité.

    Le fameux Ā, ou non-A, est une doctrine dite "non-aristotélicienne", et qui fonde son approche du monde sur la nécessité de dépasser le stade du mot, pour pénétrer dans celui du concept. En résumé, "la carte n'est pas le territoire". Il faut ainsi s'éveiller à la vraie nature des choses, pour mieux s'adapter à leur réalité. Une réalité forcément changeante.

    Tout entière basée sur la partition plutôt fantaisiste des réactions en "thalamiques" (animales) ou "corticales" (raisonnées), la philosophie Ā, se propose de débarrasser l'Homme d'une émotivité qui nuit à la clarté de son raisonnement. C'est là que réside toute la force de Gilbert Gosseyn. Mais lorsqu'il apprend qu'il dispose, en plus, d'un "cerveau second", du rang d'esprit supérieur il se trouve promu à celui de surhomme.

    Entre incohérences de récit flagrantes, raccourcis flemmards et absence quasi-totale de structure, Van Vogt slalome sans même la grâce d'un style enlevé dans l'enchevêtrement d'une intrigue palotte. Sortant son récit d'impasses invraisemblables par de grossières manœuvres de feuilletoniste, on souffre le martyr à suivre son héros robotique, plein de lui-même, gavé de sa philosophie de Reader's Digest.

    Si on pourrait s'amuser à la rigueur d'une réputation plus qu'usurpée de classiques fondateurs, on ne pardonne pas au Monde des Ā et aux Joueurs du Ā une fascination malsaine pour le thème du surhomme.

    Relativement peu cultivé (en regard d'un Asimov par exemple), Van Vogt a été très impressionné par les thèses de la sémantique générale d'Alfred Korzybski, discipline fourre-tout, certains diront complète, mais drastiquement structurée par la pensée de son créateur.

    Mal interprétée, et livrée à l'approximation d'esprits moins brillants qui voient dans sa simple lecture la preuve qu'ils ne sont peut-être pas si médiocres que ça, elle offre un terreau favorable à de regrettables débordements sectaires.

    Un mélange des genres qui ouvre grand la porte à des escroqueries morales du type de la dianétique de Hubbard. Contemporaine des Ā elle défend un credo assez voisin à base de soi-disant épanouissement personnel et de condescendance à l'égard des non-initiés.

    Cette dianétique, Van Vogt ne tardera pas à la servir d'un prosélytisme fétide.

    Ainsi ce Gosseyn déshumanisé et monobloc, qui confond discipline de pensée et absence d'émotion, tient plus du SS que du maître zen. En cela il est le prototype même du scientologue.

    Mais ces deux premiers tomes furent bel et bien à l'origine du marché de la SF en France. Tout d'abord, comme le prouve cette traduction signée Boris Vian, une tocade branchouille d'intellos Rive Gauche toujours prêts à se jeter sur tout ce qui venait des Etats-Unis, la science fiction a su ensuite trouver son public.

    D'autre part, cette trilogie nous offre un témoignage intéressant de l'évolution du genre. En effet, il va s'écouler plus de trente ans avant que Van Vogt ne revienne à son univers non-aristotélicien. Le cas n'est pas inédit, loin de là, mais le parcours de l'auteur, et de l'homme, l'est lui, nettement plus.

    Lorsqu'il reprend la plume pour La fin du Ā, Van Vogt est à des années lumières du quadragénaire suffisant mis en orbite par un succès alors bien établit. C'est au contraire un homme cabossé par la vie, qui a encaissé de rudes coups. Son engagement auprès d'Hubbard, même s'il ne l'a pas suivi sur la voie sectaire, l'a coupé de son public. Durant plus de dix ans, il n'a pas écrit une seule ligne, et il mettra plusieurs années à émerger de nouveau. Aucune de œuvres qu'il écrira après 1963 ne lui apporteront de nouveau l'immense renom qui avait été le sien.

    Cette Fin du Ā quant à elle, est bien à prendre au pied de la lettre, et c'est avec un bonheur étonnant que l'on reprend les aventures de Gilbert Gosseyn. Ou plutôt celles de celui que Van Vogt ne lasse pas d'appeler malicieusement Gosseyn Trois, un clone de secours accidentellement réveillé.

    La troisième incarnation de son héros immortel va l'aider à détruire le mythe qui s'est constitué autour des deux premiers volets de la série. Et ce minutieusement et avec une ironie discrète mais ravageuse. Gosseyn Deux, le protagoniste originel des premiers tomes, y fait figure de vieux con pontifiant (ce qu'au fond il a toujours été), alors que Numéro Trois se débat comme il peut dans des situations toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Van Vogt s'amuse à le confronter à des problèmes où la philosophie non-A ne lui est d'aucun secours. Livré aux plus "thalamiques" de ses réactions, il en vient même s'autoriser quelques émois quand une Reine Mère libidineuse qui en veut à son corps lui fait s'apercevoir que, tout surhomme qu'il est, il n'en est pas moins puceau.

    Dramatiquement conscient des critiques qui ont été formulées au fil des ans à l'encontre du Monde des Ā et des Joueurs du Ā, Van Vogt joue avec tous les clichés et tous les paradoxes de son personnage, le transformant en benêt surdoué. Certains des monologues intérieurs de Trois sont tout bonnement hilarants. Sa manie de conceptualiser à outrance la plus petite action le rend ridicule, mais, enfin, sympathique.

    Ce dernier volet, tant attendu des fans de par le monde, est plus un enterrement qu'une fin. Débarrassé par les ans et les galères de cette foi naïve en la science qui l'avait habitée jadis, Van Vogt fait amende honorable en faisant oublier ses dérives idéologiques, et en réglant une fois pour toute son compte à son héros le plus connu, mais aussi le plus détestable.

    La fin du Ā suffit presque à effacer la médiocrité confondante de ses deux prédécesseurs. Il permet en tout cas de réhabiliter un classique très largement surestimé, tout du moins sur le plan de ses qualités littéraires intrinsèques.

    Ce sera presque le dernier baroud d'honneur pour A.E Van Vogt, qui après avoir signé un ultime roman disparaîtra le 26 janvier 2000, grandement diminué par la maladie d'Alzheimer. Il sera mort avec le siècle, aux portes même du futur qu'il avait passé tant de temps à imaginer.

    Archive - février 2004


     




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