• Ni dieu, ni maître…

    La Cigale chantera-t-elle tout l'été ?

    de Francois Dibot



     


    Revoilà la SF de barricade, qui hisse le drapeau noir. Sous les pavés, la page. Les Editions Libertaires annoncent dès le départ la couleur dans une intro, qui tient presque du tract, et qui nous est adressée depuis "Quelque part dans les maquis de la résistance à l'intolérable". Nous sommes en Anarchie, et, avec une jubilation militante, on y souhaite encore au capitaliste de crever la gueule ouverte. Bien plus que rafraîchissant, c'est finalement assez salutaire.

    Très impliqué dans la vie associative, François Dibot fait partie de ces hommes qui tentent de faire vivre leurs idéaux au quotidien, et qui pense qu'il fût un temps où la science fiction était une littérature bien plus engagée qu'elle ne l'est aujourd'hui. Doù pour tenter d'y remédier, ce court recueil.

    Tout d'abord on est agréablement surpris par l'excellente présentation de l'ouvrage. Couverture soignée, nombreuses et belles illustrations intérieures. Loin des canons de la littérature libertaire, qui maquette généralement à la photocopieuse, on est ici dans l'amour du livre, et c'est déjà suffisamment notable pour être salué comme il se doit.

    Une science fiction, donc, au service d'idéaux. Société plus égalitaire, plus respectueuse de l'humain, moins – beaucoup moins – asservie aux lois d'un marché qu'on nous présente à tort comme l'état naturel des rapports humains. Une science fiction, au fond, qu'un esprit chagrin pourrait qualifier d'un autre âge, mais qui n'est hélas que bien trop en phase avec le nôtre. Car c'est presque vers la prospective que lorgne François Dibot. Chacune de ces six nouvelles s'axe autour d'une extrapolation – souvent à peine outrée – de notre futur proche. Privatisation de l'éducation pour Je mets les pieds dans le plat de mon père, très joli récit autour de la transmission du savoir, et de l'absolue nécessité de sa gratuité (à tous les points de vue), corporatisme avec G-8, parlementarisme clientéliste avec 49-3, etc...

    Fiction au service des idéaux, mais hélas parfois aussi en service commandé, comme c'est le cas pour ces deux dernières nouvelles, où Dibot pêche un peu par excès de militantisme. La finesse de sa plume et la richesse généreuse de sa langue ne suffise pas à faire primer l'histoire sur la démonstration. Car on préfèrera, et de loin, le renoncement évoqué dans Je mets les pieds dans le plat de mon père, la poésie à façon de Jeu ou la perfidie lasse de La Femme à venir est un homme ! On préfère Dibot dans l'évocation, car sa prose s'y prête. Délicatement travaillée, comme le ferait un artisan, elle sert bien mieux son propos ainsi. Plane alors, comme le parfum un peu sucré de la pourriture d'une société en décomposition. Et pourtant, pourtant, François Dibot se refuse au désespoir. "Même quand il est trop tard, il n'est jamais trop tôt !". La Cigale chantera-t-elle tout l'été ? sert une cause, et le clame haut et fort dès son préambule. C'est sans doute pourquoi on ne parvient jamais vraiment à se dire qu'on lit un recueil de nouvelles comme les autres, avec ce que cela implique de bon et de mauvais. Mauvais, car il devient difficile de dissocier l'homme et l'œuvre, du combat, spécialement quand il verse dans la didactisme. Bon, parce que sa cause, est notre cause, et qu'en se refusant à ne jouer que les pythies, François Dibot mets plus dans ces quelques pages que bien des auteurs n'en mettent dans toute une œuvre.

    Archives - décembre 2005


     



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