• Q.H.S.

    Quartier Bleu

    de François Darnaudet medium_vint.jpg

    Talentueux, discret et régulier, c'est toujours avec plaisir que l'on retrouve François Darnaudet. Un plaisir toutefois qui ne nous console pas tout à fait de la relative rareté de ses apparitions sur les tables des librairies. Auteur de polar et de science fiction, il profite de son incursion dans la collection de politique fiction de Jérôme Leroy pour jouer sur les deux tableaux. Un pari toujours un peu casse-gueule, mais qui n'est pas sans offrir un certain nombre d'avantages techniques sur le format de la novella. Ce que, en habile artisan, François Darnaudet a parfaitement compris.

    "Paris, ça s'épelle M-E-R-D-E."

    Paris, 2044. Bon, pas franchement l'éclate... Surpopulation, épidémies, drogues et délinquance sont les nouveaux piliers de cette Ville Lumière qui a pris du plomb dans les réverbères. L'état "sarko-gaulliste" a bien entendu mis en œuvre tous les moyens à sa disposition pour traiter ces nouveaux maux, et ce avec tout le bon sens expéditif que l'on connaissait dès le début du XXIème siècle à l'ancien maire de Neuilly-sur-Seine. Lassé de ramasser les cadavres des junkies et des malades du "Gros Chat" , Franz Keller a quitté la police parisienne pour devenir "vigile solo" . Un métier entre liquidateur et détective privé qui lui permet de donner libre cours à sa nature brutale, mais pas de se loger ailleurs que dans un studio collectif de 9 m² sis dans l'ancien Opéra Bastille, reconverti en HLM.

    Et lorsque Nikita Warlock, bimbo convolée d'un "cadre sup sup" d'une importante transnationale le contacte pour enquêter sur la mort de son mari, Keller ne peut pas s'offrir le luxe de refuser. Pourtant l'affaire ne sent pas bon. L'époux modèle entretenait une passion coupable pour l'exotisme en chambre, et c'est dans l'enclave black du Quartier Bleu qu'il avait pris l'habitude d'emmener le petit au cirque. Devenu un ghetto noir, l'ancien cimetière du Père Lachaise est aussi une zone de non droit qui tire son nom d'un éclairage de ville bleuté, qui le singularise du reste de la Capitale. Une clientèle de routiers libidineux et de cadres blancs viennent toutes les nuits y perdre leurs petites quéquettes dans les ravins moites de professionnelles sur-cambrées à la peau d'ébène. Il semblerait que ça soit au climax de l'une de ces joutes, que Warlock ait décidé de se faire péter la gueule avec une grenade 30 bars. "Suicide" , avaient conclu les kamis – brigade de flics d'élites métis affectés aux zones les plus dangereuses - en rendant à la veuve le doggy bag contenant les restes du défunt. Une version qui ne satisfait pas l'aimante et dévouée moitié, qui, par ailleurs, aimerait bien récupérer "la puce de rapport immédiat" que portait son mari, et que les kamis semblent avoir engourdie.

    "La poubelle est pleine depuis si longtemps, qu'il n'y a plus de place pour nos déchets à nous."

    Cent-vingt pages, c'est court pour refaire Paris. Spécialement quand, derrière, le message politique à délivrer prime. Alors niveau intrigue, François Darnaudet a opté pour les fondamentaux. Un schéma de roman noir survitaminé ultra-classique qu'il ne va pas prendre la peine de déconstruire. On reste sur les basiques. Normal, puisque le décor prend de la place. C'est même lui le principal intérêt de Quartier Bleu.

    En remplissant à la lettre le cahier des charges "politique-fiction", Darnaudet s'inscrit dans la veine de SF contestataire et gaucho des années 70. Vient s'y greffer la verve noire du polar à la Manchette. Pas d'équivoque donc, la cible est clairement identifiée. C'est cette démagogie, ce populisme cynique d'une élite patricienne qui ne sert plus que sa propre cause et n'a d'autres ambitions nationales que celles qui les conduiront sur les plus hautes marches du pouvoir. Et ce Paris de 2044 est le triste bilan comptable de plusieurs décennies de revirements politiques pilotés par les sondages d'opinions favorables, et par la mesquine arithmétique électorale d'une classe de squatters des ors de la République à courte vue et sens du devoir minimum.

    Habilement, François Darnaudet brosse – forcément à gros traits – le portrait d'une société qui a divorcé de sa classe politique, d'administrations minimums qui se partagent entre la gestion de crises et une URSSification de l'exécutif. Il extrapole intelligemment l'ouverture au privé des services publics, égratigne au passage la faillite (volontaire ?) de l'Etat à former ses citoyens, et saupoudre le tout de trouvailles effrayantes, comme ces chômeurs réquisitionnés par le gouvernement pour le compte de sociétés privées en échange de tickets d'alimentation et d'une couverture sociale format timbre-poste.

    Sans tomber dans la caricature, il reste dans l'écriture de genre(s), un peu à la manière de Roland C.Wagner. Bien-sûr de nombreux points ne sont qu'effleurés, restent en suspend ou sont simplement évoqués et laissés en jachère par la suite – comme ce mystérieux "Gros Chat" qui force les autorités aux dernières extrémités prophylactiques. Mais qu'importe au fond, puisque l'essentiel est dit. Quelques mois seulement avant que le jugement des urnes ne nous propose de choisir dans quel pied nous allons devoir nous tirer une balle ; alors qu'on voit le débat sur l'avenir de notre pays se rabaisser au niveau d'un prime de la Star Ac', François Darnaudet distribue les calottes. Il y en a pour tout le monde (bon d'accord... certains sont un peu mieux servis). La violence sous-jacente de Quartier Bleu pourrait être jubilatoire si son propos n'était pas avant tout salutaire en cette fin d'année 2006. Derrière la facilité apparente de la forme, la concentration d'idées à la ligne carrée démontre assez le métier de Darnaudet, et justifie amplement d'investir au moins cette fois dans l'une de ces – toujours un peu chères – novella SF des éditions du Rocher.


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  • Commentaires

    1
    Mardi 21 Août 2007 à 13:07
    Superbe endroit !
    Très chouette comme endroit, j'aime. C'est sympatique ici. D'ailleurs, je viens de lire ta chronique sur Quartier Bleu, et je vais surement me prendre ce livre prochainement.
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