• Fugues

    de Lewis Shiner



    Il y a indubitablement cousinage entre le rock et la SF. Toutefois, s'il leur arrive de flirter en cousin / cousine, c'est assez rarement une réussite. En l'occurrence Lewis Shiner a tout bon ! Pour le fan de rock, la simple lecture de Fugues est un régal absolu. De l'exactitude des sources à la perfection du choix des albums, c'est tout simplement un bonheur. Sa description du Swinging London finissant est parfaite, pour ne rien dire des séances de Smile, l'album fantôme de Brian Wilson (présentons plutôt les choses ainsi, tant les autres Beach Boys n'étaient tellement pour rien dans le coup...). Mais réduire Fugues à cela serait une erreur. Shiner a su cerner avec une sensibilité extrême la psychologie de son personnage. Avec ce quadragénaire mal grandit, on pense immanquablement à Haute Fidélité, mais lui fait mouche là où Nick Hornsby reste dans l'anecdotique, prisonnier de sa littérature du superficiel. Aux antipodes d'une sorte de Journal de Bridget Jones au masculin, ce splendide petit roman fait vibrer la corde sensible ; c'est peut-être celle de la Gibson SG qui figure sur la couverture, mais en tout cas elle sonne diablement juste.

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  • Soudain je faisais le métier le plus cool du monde, pour le journal le plus cool du monde, avec les journalistes les plus cool du monde. En fait je n'étais pas loin d'être le rock critic débutant le plus cool du monde. Creem c'était plus une petite bande qu'autre chose. La rédaction tenait du n'importe quoi, surtout qu'à l'époque Lester Bangs y travaillait encore. On était tous des passionnés, mal payés, mais payés quand même, et on menait une vie géniale. On travaillait aussi beaucoup. Les sept premiers mois de 1976, j'ai énormément bougé : L.A, Boston, Philadelphie, Houston, Frisco. Je revenais de temps en temps à la maison, quand un groupe que je devais interviewer y faisait étape, mais le plus souvent je n'y restais que quelques heures, et chaque fois que j'ai eu l'occasion d'y passer un peu plus de temps, je n'ai jamais pu croiser Nick. Mais je prenais des nouvelles. De loin.
    Apparemment, lui et Bella étaient ensemble maintenant. Par ailleurs les choses avaient commencé à bouger pour les Ambassadors. Wax Works, un petit label indépendant distribué par une grosse major les avaient repérés et signés. Ils avaient enregistré leur premier album pour une poignée de cacahouètes, et faisaient la tournée des campus pour le vendre.
    Bien évidemment, je l'avais écouté. Il s'ouvrait sur une chanson que s'appelait "She Fucked My Brain Up", "Elle m'a baisé le cerveau"... Putain que je déteste ce genre de clichés !
    Nick en tout cas semblait sur une autre planète. En sept mois, pas une nouvelle. Tout le monde me disait que ça roulait pour lui. Qu'il avait l'air heureux. Bien. Qu'il avait changé. Evolué.
    Dans ce genre de situation, il y a toujours des choses qu'on ne dit pas, mais qu'on entend quand même si on veut bien se donner la peine d'avoir l'ouïe assez fine. C'étaient ces choses-là qui m'inquiétaient.


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    Je pensais me prendre quelques jours au début de l'été, mais on m'a envoyé suivre les Ramones en Angleterre tout le mois de juillet. Là-bas, j'ai réussi à magouiller avec les maisons de disques pour prendre, à leur frais, le pouls de la scène punk qui émergeait tout juste. Je suis revenu au pays un mois plus tard que prévu dans, aussi bizarre que ça puisse paraître, les bagages des Stones qui venaient faire un peu de promo.
    Ça me permit de faire une belle interview, et de prendre une solide biture avec Keith Richards. Le groupe venait de prendre ses quartiers au Waldorf Astoria, et j'étais dans sa suite, quand d'un coup, au beau milieu d'une bouteille, il me fait comme ça :
    ― Au fait mec, j'ai entendu que dire que Bella traînait ses guêtres dans les parages depuis quelques temps ?
    ― Exact !" Un peu étonné qu'elle surgisse là au détour de la conversation. "Alors c'est vrai ce qu'on dit Keith ? Que t'étais avec elle à une époque ?".
    ― Ah non ! J'ai fait plein de conneries jusque là, mais pas celle-ci", m'a-t-il répondu, avec sa voix plus traînante que jamais, et d'ajouter, "J'ai déjà assez d'emmerdes comme ça sans avoir à me mettre dans les pattes de ce genre de femelle.
    ― Et c'est quel genre justement ?
    ― Ben... quand j'ai connu Bella, elle traînait avec Brian, et ils ont été ensemble à un moment donné. C'était avant qu'il ne parte au Maroc et qu'on le vire. Ensuite je l'ai vu avec Nick Drake, avec qui elle a été jusqu'en 71, quelque chose comme ça, juste avant qu'il ne commence à vraiment lâcher la rampe. Avant je sais aussi qu'elle a été avec Peter Green, à la fin des années 60, juste avant qu'il ne quitte Fleetwood Mac et se barre dans son trip chrétien. Mais son grand amour secret, ça a été Syd Barrett. Ils étaient ensemble presque depuis les débuts du Floyd, jusqu'à un peu avant que les autres ne finissent par oublier de l'appeler.
    ― Mais...
    ― Ouais, je sais, elle avait un timing serré.
    ― Non, c'est pas ça, c'est...
    ― Ce que tu veux dire c'est qu'elle aime les gars plutôt doués ?
    ― Euh...
    ― Elle aime les écorchés vifs surtout, on dirait. Mais ces gars là, c'est pas une fille comme Bella qu'il leur faut. C'est pas bon pour eux.
    ― Tu veux dire...
    ― ...Rien ! Rien dire de plus que ce que j'ai dit. Ni plus, ni moins.

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    Cette conversation m'est longtemps restée en tête, et j'y pensais encore lorsque j'ai enfin revu Nick et Bella.
    Dans la foulée des Ramones et des groupes anglais qu'ils avaient influencés et qui débarquaient chez nous, les choses bougeaient de plus en plus. Cette scène punk rock que je connaissais par cœur devenait le truc le plus chaud du moment et Kramer m'a plus ou moins officiellement sacré spécialiste du genre et demandé d'être une sorte de correspondant permanent pour le journal. Du coup j'ai réintégré mon petit studio de la 17ème Est, et j'ai commencé à bosser par correspondance.
    La tournée des facs des Ambassadors leur avait fait vendre assez d'albums pour que Wax Works les renvoie en studio pour la suite. Je me suis donc invité à l'une des sessions. En vieux pote. Le fameux studio était un petit sous-sol suréquipé des quartiers Sud. Lorsque je suis rentré dans la cabine de mix, j'ai retrouvé là la faune habituelle qui venait s'entasser pour s'en mettre plein les oreilles et plein le nez. Le groupe enregistrait et personne n'a vraiment fait attention à moi. Sauf Bella.
    La métamorphose était saisissante.
    C'était comme si l'atmosphère si particulière de notre petit milieu l'avait enfin imprégnée. Je me suis fait la réflexion que c'était pour elle comme une sorte de retour à la case départ. Elle avait déjà connu ça à Londres: les débuts prometteurs, les frémissements de succès, les nouveaux amis. Les anciens aussi. Ceux qui disparaissent. Mais ça semblait lui réussir. Ça ressemblait pour elle à une promotion à l'envers. Elle avait bien meilleure mine, son regard avait retrouvé de cette vivacité qui vous alpaguait sur ses clichés londoniens. Elle s'était remplumée aussi. Sans aller jusqu'à dire qu'elle faisait "saine", elle n'avait plus rien du zombie avec un singe sur l'épaule d'il y avait encore quelques mois. Même ses fringues ridicules s'étaient amalgamées au décor. Elle ne détonait plus dans le tableau. Au contraire, elle semblait presque survoler tout ça d'un coup d'aile irréel qui la plaçait au-dessus de la mêlée suante qui s'agglutinait dans les 10m² libres que laissait la console.
    Difficile de dire si elle était contente ou pas de me voir. J'ai cru lire dans ses yeux comme une appréhension, mais peut-être que se sont les années qui m'ont fait prendre mes fantasmes pour la réalité. En tout cas, elle m'a accueilli chaleureusement. Après tout ça faisait des mois que je me faisais l'avocat des Ambassadors dès que j'en avais l'occasion. Elle a miraculeusement réussi à dégager un vide sanitaire autour de nous, repoussant les crevards encore un peu plus loin dans des recoins insoupçonnés du studio, et m'a dit qu'elle était contente que je sois là, qu'elle avait bien pensé à m'inviter mais que les journées passaient si vite, et que tout s'était enchaîné dans une telle folie. J'ai dit que je comprenais, et en un sens c'était vrai. Pour meubler la gêne de ne pas avoir grand-chose à nous dire, elle a tourné vers les gars un regard mère poule. J'ai suivi le mouvement.
    Les garçons avaient changés eux aussi. Ils jouaient mieux. Plus fort, plus vif, plus incisif. Ils avaient gagné en assurance sans avoir encore perdu leur spontanéité. Ils vivaient un état de grâce. Ephémère bien sûr, mais il n'en savaient encore rien. Même séparés d'eux par vingt centimètres de verre, je sentais la tension qui s'était installée entre eux. Les egos, les jalousies, l'argent, les filles. La gestation d'un avenir en flammes. Tout ce qui allait les faire imploser tôt ou tard mais qui, pour l'instant, était le carburant qui les faisait avancer. J'ai vu ça des centaines de fois depuis.
    Il était évident que j'assistais à l'enregistrement d'un grand album. Et Nick incarnait ça mieux que tout le reste. Plus que jamais il était le ciment du groupe. Son âme. Son ingrédient secret. C'était lui qui composait tous les morceaux, qui emmenait les autres à l'assaut du monde. Lui qui prenait tout sur lui. Et pour tout ça, je dois dire qu'il payait le prix. Et comptant avec ça.
    Je n'aurais pas su dire alors si quelque chose s'était cassé en lui. Et même aujourd'hui, maintenant que tout ça fait partie de l'histoire, je serais toujours bien incapable d'avoir là-dessus un avis définitif, car il nous reste quelques grandes chansons en témoignage. Seraient-elles toutefois aussi grandes sans "les à-côtés" comme les auraient appelés Nick ? Il avait l'air fatigué. En équilibre, poussé trop vite en avant par son destin. Il s'usait. Et la came n'arrangeait rien. Ça crevait les yeux, mais s'en a été choquant lorsque, l'enregistrement du morceau fini, il est venu contrôler sa prise en cabine. En soi la démarche était ridicule, Nick avait des oreilles en carton et était incapable de juger de la qualité d'un mix. Dès l'instant qu'on l'entendait, et qu'on entendait sa guitare, ça lui suffisait. Mais la célébrité a ceci d'agaçant qu'elle vous fait vous comporter comme quelqu'un de célèbre. Il est allé directement embrasser Bella, et là, comme ça, l'un à côté de l'autre, il m'ont fait l'effet d'un système de siphon. Comme si la vitalité de l'un était passée à l'autre.
    Lorsqu'il m'a vu, il m'a fait le grand jeu : on se tombe dans les bras, on se demande des nouvelles, on est des amis, des frères d'armes, etc. J'ai tout de suite détesté cette complicité bidon. Et j'ai tout de suite su aussi que si j'avais toujours été le petit fanzineux qu'il avait connu au début, j'aurais été dans le coin oubliette du studio, avec les pique-snifettes et les pousse-mégots. Mais voilà, journaliste à Creem c'était quelque chose, j'avais moi aussi fait mon trou. J'étais toujours fréquentable. Ça m'a fait de la peine, parce que j'aurais cru Nick au-dessus de ça.
    Les Ambassadors sont entrés à leur tour et ont été cool avec moi. Jesse a fait le malin auprès de la galerie, Josh, le batteur est allé direct à la console pour regarder bosser le producteur, quant à Dino, leur bassiste de l'époque, il s'est rapidement éclipsé dans les chiottes, pour n'en revenir que dix minutes plus tard, incapable de tenir le tempo. Ce qui a mis fin à la séance du jour.

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  • C'est finalement assez logique qu'un beau pays bien policé et un peu chiant comme la Suède n'inspire que des groupes qui castagnent. Clawfinger, Hellacopters, The (International) Noise Consipracy, Entombed. Pas de chiqué, pas de postures, que du taquet, du "à burnes" avec l'aiguille du Vumètre collée dans le rouge. Scandinaves ils sont, ce qui, pour un D.A de major pourrait tout aussi bien vouloir dire Martiens. C'est ce qui nous les met irrémédiablement à distance du business du disque. Donc tout seuls, dans leur petit coin, ils font leur vie. Ils montent au charbon, s'assument, et envoient la purée assidûment. Ils ont l'attitude, le talent, et l'envie. Donc ça marche.

    De toute cette bande, The Hives est peut-être le plus symptomatique. Une poignée d'E.P cradingues vite envoyés entre 95 et 97, hâtivement rassemblés sur un vrai faux album compile – Barely Legal –, pour aboutir en 2000 à Veni, Vidi, Vicious. Un L.P péremptoire, éruptif, douze titres tout en barrés tournant à deux minutes de moyenne. Râpeux, brut, bien carré dans les coins, du Garage s'il en fût, en tout cas comme on n'en avait pas entendu depuis longtemps, amoureusement torché dans un bouillon braillant. Cinq gars plutôt moches, qui ne ressemblent vraiment à rien, pas décoratifs pour deux ronds mais intraitables sur le dress-code. Costards et chemises noirs avec cravates et creepers blanches (kinky boots tolérées), instruments rigoureusement blancs : en deux mots la classe totale.

    Evidemment un tapage pareil ça vous réveille même le moins doué des cochons truffiers. La grosse machine à vendre de la musique a donc fini par pointer le bout du groin, ce qui explique que de galères juridiques en rachat de contrat, il nous aura fallu quatre ans avant d'avoir droit au successeur de Veni, Vidi, Vicious, et logiquement, sur une major. Entre-temps les gars ont continué de faire ce qu'ils ont toujours fait : ils ont bouffé de la planche. Tournées, concerts, bœufs. Ils n'ont pas perdu la main.

    Si pour Tyrannosaurus Hives, ils sont passés d'un packaging argent à un packaging à dominante dorée, il y a une raison. En comparaison de son prédécesseur l'album fait riche. Nouveau riche même, tendance Graceland. Glitter. On sent la sape en lamé or et la Cadillac El Dorado custom chrome. Toujours des teignes, mais qui ont appris les bonnes manières. Fuck Off... Mind you !

    Tout le soin apporté à la dégradation du son laisse perplexe. Certes les Hives n'ont pas perdu de vue que le rock c'est avant tout un truc de mecs moches pour serrer des gonzesses, mais il y aurait comme une exigence nouvelle dans les canons de la groupie à emballer. Nouveaux riches, je vous le disais. Cela dit, les douze titres nouveaux s'imposent toujours d'évidence.

    Bien assez pour réarmer la batterie de lieux communs de la presse rock, qui en a toujours disposés avec prodigalité. Ainsi donc, s'ils doivent être symptomatiques d'un quelconque épiphénomène, The Hives symboliseraient quelque part le retour du rock à guitares.

    Cette blague !

    Lorsque Duran Duran ressuscite fâcheusement, on a le droit de parler de retour de la muzak à moumoute (et l'obligation morale de le déplorer), mais franchement, peut-on rêver plus conne assertion que cet hypothétique retour du rock à guitares.

    En fût-il un autre ?

    Depuis que le vieux Chuck s'est agrippé à sa Gibson, le rock c'est la gratte. Le reste n'est qu'un effet de bande opportun, un superflu indispensable qui, sur scène, masque commodément l'indigence technique des guitaristes, qui sont par nature des gens indigents. Et c'est justement ça le rock. Monter au feu en bande ! En groupe...

    Si finalement retour il y a, ce n'est pas tant celui du rock à guitares, que celui du rock tout court. Et encore... retour ça reste à voir...

    Le rock c'est s'ancrer dans la certitude d'être anecdotique, se complaire dans une esthétique tronquée. C'est refuser de grandir, mais être certain que c'est impossible. C'est de là que naît la tension, l'urgence. Le rock, c'est une course contre la montre. Contre l'inévitable. Un jour forcément, on sera ridicule avec notre panoplie de sale gosse. On le sait que ce n'est pas çà la vie. Que le but du jeu ce n'est pas de faire chier nos parents et de dire merde à la société. Et toute l'ironie est là, puisque seuls les plus responsables et sérieux des aspirants rockers feront leur trou. Ce qui vous rend magique vous tue dans le même temps. Ça fait d'un groupe une bande d'enthousiastes un peu pathétiques, implacablement condamnés à un éphémère à durée indéterminée. Mais ce qui marque la différence entre les bons et les mauvais, ce n'est pas la capacité à faire durer cet éphémère, mais celle qui consiste à le faire coïncider avec un état de grâce. La beauté de The Hives, c'est leur urgence. C'est la perfection mathématique de cette courbe en cloche qui les a conduit d'une adolescence inutile et bruyante à ce Garage rutilant pour américaines de collection. The Hives c'est toute la vie de Jerry Lee Lewis en trois albums, avec la chute tragique annoncée pour le quatrième. C'est parfait. Simplement parfait.

    Il n'y a pas de retour du rock parce que le rock c'est l'adolescence dans ce qu'elle a de plus douloureux. C'est la vengeance du boutonneux, du médiocre. Du puceau. C'est la frustration électrifiée à pleins tubes. C'est parce qu'ils ne sont pas beaux que The Hives sont bons, au même titre que les belles gueules et le destroy soigné d'un Black Rebel Motorcycle Club suffit, à juste titre, à les rendre suspects. Lorsqu'on les voit on sait que ces gars ont tirés leurs coups à 14 ans. Et avec la Reine de la promo encore. The Hives c'est les Ramones, c'est les Who, c'est les Kinks, c'est les Sex Pistols, et quelque part même, c'est Black Sabbath. Intemporels, évidents, nécessaires. The Hives c'est le rock n' roll.

    Archive - décembre 2004





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  • Un portrait de William Gibson

    Il fût un temps où le futur était encore candide.

    Après sa rude journée de labeur à surveiller des robots rutilants qui construisaient des voitures qui se conduisent toutes seules, Monsieur serait rentré retrouver Madame qui aurait, elle, eût tout loisir de se faire belle, pendant que sa cuisine domotique préparait un délicieux repas. Le retour au foyer du chef de famille aurait sonné pour les enfants l'heure de la fin des cours. Ils auraient éteints leur prof électronique, et seraient descendus embrasser leur père. La famille, enfin rassemblée autour du mur écran de télévision, aurait enfin pu se détendre, en regardant une émission de variété, à moins qu'ils aient tous décidés d'aller, après dîner, voir le dernier holo à la mode au ciné 3D du coin.

    C'est ce genre de futur auquel William Ford Gibson, né le mercredi 17 mars 1948 en Caroline du Sud, aurait pu croire.

    Mais ça ne s'est pas passé ainsi.

    Fils unique, son père est ingénieur dans le BTP, et se retrouve très vite dans le Tennessee, où sa société l'envoie travailler à la construction des laboratoires de Oak Ridge, d'où seront assemblés les différents éléments de la première bombe atomique.

    De cette époque, William Gibson garde le souvenir d'un futur pas si éloigné de ça de l'idée qu'il pouvait s'en faire. Un futur plein de jouets venus de l'espace, où les voitures ressemblent à des croiseurs klingons, et les frigos à des coffres-forts intergalactiques.

    Une bouchée mal avalée dans un restoroute du Sud profond va tout changer pour lui. Alors qu'il est en voyage d'affaire, son père meurt étouffé. William Gibson a alors 6 ans, et sa mère décide de quitter Oak Ridge pour revenir dans sa famille en Virginie. La réalité de ce Sud là, est bien différente, et le petit garçon qu'il est, vit ce retour aux sources contraint et forcé comme un retour dans le passé.

    Un peu perdu dans cet Etat arriéré, où on a le progrès sélectif, il se réfugie dans un monde de livres, dévorant tous les romans de science-fiction qu'il peut trouver, et développant ce qu'il appelle une personnalité "lovecraftienne". Sa mère, qui surmonte difficilement son veuvage, l'élève seul, et décide pour ses 15 ans, de le placer dans un pensionnat privé en Arizona, à un bon millier de kilomètres de chez lui.

    C'est bien évidemment un nouveau traumatisme pour lui, qu'il surmonte une fois encore en se jetant dans la lecture. Croyant avoir affaire à de nouveaux auteurs de SF, il tombe par accident sur les écrivains de la beat generation. La découverte de Burroughs, Kerouac ou Ginsberg, marque son entrée dans l'adolescence. Alors qu'il se réinvente une nouvelle fois, c'est de son âge, il oublie son personnage d'érudit reclus et s'essaie à un semblant de contre-culture. Il devient donc "aussi hippie qu'on peut l'être dans un Etat comme l'Arizona", c'est-à-dire pas beaucoup.

    Il a 18 ans, lorsque sa mère meurt soudainement. En dépit du fait qu'il ne la voyait guère, c'est pour lui la matérialisation brutale de l'une de ses pires angoisses. Désormais orphelin, il est livré à lui-même, et quitte l'école sans se donner la peine de passer ses examens. Nous sommes en 1966, et le Summer Of Love point à l'horizon. Il tente de se convaincre que c'est pour lui une nouvelle vie qui commence, mais sans grande conviction. Il gagne alors sa pitance avec divers petits boulots, et en chinant dans les vieux débarras de campagne pour revendre plus tard ses trouvailles à des citadins en quête d'authenticité rurale. En 66, d'autres jeunes meurent dans la jungle du Viet-Nam, et pour échapper à la conscription, il s'enfuit au Canada, même s'il est douteux que l'armée ait simplement songé à l'incorporer. Après y avoir rencontré sa femme, voyagé un temps en Europe, il termine mollement ses études, ce qui nous amène aux alentours de 1977.

    1977, année de naissance officielle du punk, même si l'émergence du genre remonte en fait à quelques années déjà. L'écoute des premiers albums des Ramones, des Sex Pistols ou du Clash, lui occasionne un choc. A la même époque, il redécouvre sa vieille passion pour la science fiction. Tout est désormais en place pour que se produise le déclic, et le peu d'enthousiasme qui semble l'animer à l'idée de se lancer dans la vie active, achève de le décider. Il sera écrivain.

    Il y a certes pas mal de choses à dire sur le monde en cette fin de décennie où se sont irrémédiablement fanées les fleurs des enfants de l'amour, où la logique politique s'est essoufflée, et où ceux qui se sont réfugiés dans la violence n'ont pas été capables de mettre à bas la vieille bête capitaliste. Bien au contraire, il semblerait même que la « Grosse Machine » ait gagné la partie, absorbant, digérant, et recrachant sous forme de conformisme bon teint et d'espèces sonnantes les formes les plus abouties de la contre-culture des sixties.

    Gibson pense que "tout roman de science fiction parle en fait de l'époque où il est écrit". Un point de vue pertinent qu'il n'est pas le seul à partager. Les premières nouvelles qu'il place, le rapprochent d'autres auteurs qui semblent porter sur le monde le même regard chargé de reproches et de désillusion. Eux aussi s'élèvent contre l'injustice sociale, l'emprise de l'argent, et eux aussi se défient des valeurs mercantiles qui dictent leurs lois jusque dans les domaines les plus incongrus, la SF par exemple.

    Un "Mouvement" informel se crée, principalement autour de la personnalité revendicative d'un jeune diplômé en journalisme texan, qui vient de signer son premier roman La Baleine des Sables : Bruce Sterling.

    Dans Cheap Truth, le journal photocopié qu'il diffuse gratuitement, Sterling, qui signe ses articles sous le pseudo de Vincent Omniveritas, brocarde férocement la SF inféodée au big bizness. Il est bientôt rejoint dans les colonnes de son opuscule, par Sue Denim, Candace Berragus, Todd Refinery, Sheri La Fuerta, Hunilla de Cholo ou Phaedrus, autant de pseudos saugrenus, destiné à éviter les manifestations d'ego, et derrière lesquels se cachent des auteurs comme Lewis Shiner, Rudy Rucker, Pat Cadigan, Walter Jon Williams, Greg Bear ou bien encore William Gibson.

    Cette bande de sales gamins n'a pas d'autre nom que "le Mouvement". En revanche, leur grande gueule, leur culot et leur mauvaise foi font qu'on les remarque. Et bien évidemment on cherche à les ranger dans une case plus aisément repérable. Après qu'on ait essayé d'en faire des "Techno-marginaux", qu'on ait espéré leur coller sur le dos l'invention de la "New Wave of the Eighties", et qu'on ait voulu faire de leur littérature la "Radical SF", ce sera finalement le rédacteur en chef d'Asimov SF Magazine, qui décrochera la timbale avec le "Cyberpunk", collage de mots astucieux qu'il a trouvé dans une nouvelle de Bruce Bethke.

    Ce ne sera qu'en 1984, après que Gibson ait publié son premier roman, que l'assimilation se fera. Coup d'essai, coup de maître, puisque Neuromancien remporte l'année de sa sortie, le Hugo, le Nebula, et le Philip K. Dick Award. Outre un univers sombre, urbain et hi-tech, il invente dans Neuromancien le concept de "cyberspace". Ce qu'il n'envisage alors que comme un continuum d'informations charriées par le réseau connectant entre eux tous les ordinateurs de la planète, ne va pas tarder à prendre véritablement corps, dans une version toutefois plus démocratique : internet.

    Vingt ans après, le concept nous semble d'une banalité désolante, mais à l'époque, il est remarquablement aventureux. Et voilà, dès son acte de naissance officialisé, que se profilent les limites d'un genre, destiné à être rattrapé par le quotidien. Gibson en est tout à fait conscient.

    Neuromancien est un best-seller et il devient pour tout le monde "l'inventeur du Cyberpunk". Premier de la bande de Cheap Truth à remporter un tel succès, il doit faire avec ce nouveau status quelque peu usurpé, et le danger de devenir ce qu'il a toujours refusé d'être, un "gourou littéraire".

    Sa science fiction est, il est vrai, très en phase avec l'époque. Le début des années 80 est une sorte de pendant cauchemardesque de ce futur multicolore des années 50. Plus de formes douces pour un progrès rassurant, mais un Hi-Tech hostile, incompréhensible et invasif, mais qui devient rapidement indispensable. Le futur soudain, devient une nouvelle servitude qui promet des lendemains douloureux.

    Un possible avenir que Gibson continue d'explorer en 1986 dans Comte Zéro, le deuxième volet de sa Sprawl trilogy (en France les trois romans n'ont pas été ainsi rassemblés). On y retrouve les mêmes milieux interlopes de hackers, trafiquants, junkies et laissés pour compte. Il y développe aussi une vision détournée de la science et du progrès, car, dit-il "la rue trouve toujours ses propres utilisations au progrès".

    C'est aussi en 1986 que sort Gravé sur chrome, un recueil regroupant plusieurs de ces nouvelles publiées à ces débuts, et entre l'écriture de ses deux premiers romans. Ainsi Le continuum Gernsback, qui sera reprise deux ans plus tard par Bruce Sterling en ouverture de l'anthologie manifeste du Cyberpunk, Mozart en verre miroirs, et qui sera adaptée pour la télé en 93. D'ailleurs plusieurs nouvelles de Gravé sur chrome, connaîtront des destins insolites. Ainsi le texte éponyme sera porté au théâtre par Gibson lui-même en 1998, Hinterland servira de base à une série de comics, New Rose Hotel et Johnny Mnemonic seront quant à elles adaptées au cinéma, la première en 98 par Abel Ferrara, et la seconde par William Gibson lui-même en 1995, la réalisation en étant confiée à Robert Longo, un faiseur sans grand génie. Gibson gardera au final de l'expérience, un souvenir mitigé.

    Comme le rythme d'un roman tous les deux ans est pris, c'est en 88 que sort Mona Lisa s'éclate, le dernier tome de la Sprawl Trilogy. Il y reprend les personnages de Comte Zéro, mais la veine s'essouffle. A l'heure où sort aussi Mozart en verres miroirs, qui officialise aux yeux du monde la vague cyberpunk, il est clair qu'il est temps désormais pour Gibson de passer à autre chose.

    Pour beaucoup il reste le porte-étendard du genre. Ainsi, en janvier 1990 les centraux téléphoniques en charge des appels longue distance sur tout les Etats-Unis crashent les uns après les autres en seulement quelques heures. Il s'avèrera bien plus tard que le problème venait d'un bug du programme de gestion de l'opérateur, mais l'incident fait suite à toute une série de piratages spectaculaires, opérés par de jeunes génies de l'informatique que la vision romantique du hacker tel qu'il est décrit par Gibson a inspiré. Tout au long de l'année 90, le FBI et les services secrets vont opérer des raids sur tout le territoire, pour mettre sous les verrous ces "dangereux cyber-terroristes". Constante inaltérable dans la chambrette du hacker type, un exemplaire de Neuromancien. A telle enseigne qu'à l'époque, la seule présence du livre chez un possesseur de PC suffit à le rendre suspect. Evidemment, cela ne fait qu'étoffer un peu plus sa réputation d'auteur culte et de "parrain du cyberpunk" que Gibson se traîne depuis ses débuts.

    Très sollicité, il écrit de nombreux articles pour Wired, mais aussi pour le New York Times ou Rolling Stone, et dans lesquels il essaye de se défaire de son image. Parallèlement, l'écriture de nombreuses versions d'un scénario pour Alien 3, l'occupe un temps. En vain, puisque finalement, deux autres scénaristes seront retenus.

    En 1991, Gibson revient sur les étagères des librairies et surprend tout le monde avec La machine à différence, écrit à quatre mains avec son vieux complice Bruce Sterling. Loin des futurs hyper-technologiques dystopiques, les deux papes du cyberpunk, nous entraînent en pleine Angleterre victorienne, dans un univers à la Jules Verne, un auteur qu'ils ont toujours admiré. Le résultat n'est peut-être pas tout à fait à la hauteur des espérances, mais ils inventent, cette fois délibérément et non sans humour, le concept de steampunk. Le Hi-Tech à la vapeur, n'est au fond qu'une transposition de leur thèmes de prédilection dans le passé, mais elle fait écho au ras-le-bol général du cyberpunk. Ils ont bien sûr été nombreux à s'engouffrer dans la brèche ouverte par Gibson pour essayer de faire sauter la banque avec des romans qui, s'ils sont indéniablement cyber, sont généralement plus pop que punk. Ce qui incite cette même année 91, Lewis Shiner à publier dans le New York Times un texte intitulé Confessions d'un ex cyberpunk, auquel Sterling répond par un long article intitulé Cyberpunk In the Nineties, où il s'affranchit lui et ses petits camarades de la grande époque, des diktats du genre.

    Et de fait, après avoir écrit Agrippa, un long poème dédié à son père qui sort en 1992, William Gibson entame en 1993 une nouvelle trilogie avec Lumière Virtuelle. L'action se déroule à San Francisco en 2005. En toile de fond toujours la même défiance du libéralisme, et la défense des même valeurs. Son style est toujours aussi travaillé et personnel, mais la tentation de situer son intrigue dans le présent se fait sentir. Moins colérique que ses précédents romans, plus mûr, il jette sur la société un regard plus lucide, plus acéré.

    Le deuxième tome de la Trilogie de San Francisco ne paraîtra qu'en 1996, en partie à cause du temps que lui aura demandé l'adaptation de Johnny Mnemonic, non seulement au cinéma, mais aussi en jeu vidéo et même sous la forme très low-tech d'un flipper. Idoru met en scène un jeune homme tombant amoureux d'une star virtuelle. Il aborde là ce qui deviendra un de ses thèmes de prédilection, la dématérialisation du monde via les réseaux de communication. Hélas, en même temps que le monde, son écriture semble elle-aussi se dématérialiser. Il se laisse aller à un maniérisme presque caricatural qui plombe irrémédiablement la lecture du roman. Gibson se cherche dirait-on.

    Alors qu'il continue d'écrire de nombreux articles, parfaitement lisibles, eux, pour divers journaux, il travaille aussi à une adaptation cinématographique de Comte Zéro, produite par la Tri Star, qui s'est portée acquéreuse des droits de la Sprawl Trilogy. Le projet n'aboutira pas. Un temps, Malcolm McLaren (fumiste international, gourou de la mode et ancien manager des Sex Pistols) caresse l'idée de mettre en scène New Rose Hotel et il demande à Gibson de travailler au scénario, avant de finalement revendre les droits à Abel Ferrara. Le projet cette fois verra le jour, mais sans lui. Pour se consoler il signe deux épisodes de X-Files, et revient aux choses sérieuses en 1999, avec Tomorrow's Parties, ultime tome de la Trilogie de San Francisco.

    On retrouve dans ce dernier volume des personnages issus de Lumière Virtuelle et d'Idoru, et Gibson tente de les intégrer à une intrigue complexe, dans un futur à la fois proche et dépaysant. Si sa prose est redevenue plus abordable, l'histoire est, elle, trop confuse et Tomorrow's Parties est accueilli avec scepticisme.

    En 2000, No Map For These Territories, un documentaire qui lui est consacré fait un bilan de sa carrière, et de ce qu'il a su apporter à la SF. Car incontestablement, William Gibson est l'un des auteurs majeurs de ces vingt dernières années. Comme nombre de ses confrères qui furent catalogués "cyberpunks", il a su garder une vision claire de son rôle d'écrivain, et ne s'est jamais renié. En témoigne ce formidable Identification des schémas qui sort en librairie ces jours-ci. Ecrit après le 11 septembre, il marque une nouvelle étape dans sa carrière. Assumant son status d'auteur culte, il joue avec les codes, les détourne, et replace sa vision dans la perspective d'un occident désormais en quête de nouvelles valeurs.

    Le futur n'est plus candide, et peut-être, tout simplement n'est-il plus. Tout court. A mesure que la vision que s'en faisait les cyberpunks devenait obsolète, notre avenir s'est rapproché au point de n'être plus qu'une dimension de notre quotidien. Le futur cohabite avec notre présent, William Gibson l'a bien compris, l'a assimilé, et semble prêt à nous le démontrer de nombreuses années encore.

    Ni technogogo, ni cassandre cybernétique, William Gibson vît toujours au Canada avec sa femme et ses deux enfants, il avoue ne regarder que très peu la télé, chine toujours beaucoup mais désormais via internet, s'essaye de temps à autres au blog et en a marre de lire partout qu'il écrit ses romans sur une vieille machine à écrire.

    Archive - septembre 2004




    2 commentaires
  • Le lendemain je suis passé voir Nick chez lui, dans une sorte de loft piteux coincé entre le quartier russe et le chinois. Ne fantasmez pas ! Ça tenait plus de l'entrepôt désaffecté en bordure du fleuve, avec tout autour des labos clandestins et des rats gros comme des chats. Nick, lui, rayonnait. Il avait un air si bourgeoisement heureux, que ça semblait incongru dans le foutoir ambiant. Le grand espace vide et crade qu'il partageait avec Jesse son guitariste, et Josh son fabuleux batteur m'est d'un coup apparu comme il devait être : vide et crade. Nick avait gardé de sa nuit un relief, une mise en lumière, qui lui donnait un air de messie. Ça m'a comme saisi. Et puis, revenant des chiottes, une des punkettes habituées du Gas est passée entre nous en trottinant, à poil, les pieds passés dans ses rangers délacées. Cul blafard, petits seins menus et une épilation approximative qu'elle ne pouvait plus nous cacher, la gamine est allée rejoindre Jesse dans sa niche fermée de madras miteux accrochés aux poteaux en fonte qui étayaient le plafond. A grand coup de prosaïsme elle venait de réduire la dimension quasi-christique de l'instant à un bête étonnement. La conne !
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    "Elle m'a baisé le cerveau." m'a raconté Nick.
    Bien après mon départ et celui des autres Ambassadors, les deux étaient restés à discuter au Gas. A la fin, Rollo, le patron, leur avait demandé de partir parce qu'il voulait fermer. De là ils avaient marché jusqu'au loft, ce qui représente une bonne heure à pied, et sans traîner. Ils avaient traîné. Enfin arrivés, ils avaient encore parlé, puis naturellement, sans vraiment y penser, ils avaient fini au lit et baisés jusqu'à ce qu'enfin Bella se lève, s'habille et s'en aille, sans aucune promesse de lendemain. Ce n'était d'ailleurs leur genre ni à l'un ni à l'autre.
    "Mais de quoi est-ce que vous avez bien pu parler autant ?" aie-je demandé à Nick. "De tout et de rien ! De tout surtout..." Je n'ai pas pu en savoir plus, mais j'ai eu des indices.
    Il avait faim, ce qui en soi était déjà insolite, et s'est offert de me payer à bouffer au Deli's du coin. Tout le repas il m'a littéralement régalé d'anecdotes sur Pink Floyd, et sur les Stones. On a refait notre petit monde, discuté de la mort de Brian Jones, et de la manière dont Keith Richards avait pris la chose. Il en parlait comme si Keith s'était épanché sur son épaule. Presque sur un ton de confidence. On le sentait très concerné. Puis il m'a dit qu'il fallait qu'il y aille, qu'il avait une super idée de chanson qu'il ne voulait pas laisser filer. Je l'ai laissé en bas de chez lui, et suis retourné à ma dèche, mes articles et mes attentes.

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    A cette époque, même sous la torture, je ne l'aurais jamais admis, mais j'ai toujours aimé Noël. Spécialement ici où les parcs et les rues sont couverts de neige. On a du mal à se dire que c'est cette même ville qui fond tous les étés sous une chaleur poisseuse. Même les plus modestes magasins sont décorés de vert, rouge et or. Toute l'imagerie à base de rênes, Old Santa, et tous accessoires afférents surgit un peu partout. Qui sa botte, qui son traîneau, sa hotte, son bonnet. Il flotte dans l'air un parfum de miracle et de vin chaud. Des blacks au coin des rues ressuscitent avec bonheur des vieux standards de doo wop, les orchestres de l'Armée du Salut autour de leurs chaudrons à oboles massacrent avec une rigueur toute militaire les classiques de saison, des chorales d'enfants s'assemblent sous de grands sapins clignotants et chantent des cantiques d'un autre âge et d'un autre continent. J'aime Noël. J'aime cette ville à Noël, et j'ai la preuve que le Père Noël aussi s'y sent bien, d'humeur généreuse.

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    Rentré chez moi après mon "déjeuner" avec Nick, j'ai reçu le coup de fil que je n'espérais plus : celui de Barry Kramer, le rédacteur en chef de Creem. Il avait lu les articles que je lui avais envoyés, avait jeté un œil à mon modeste fanzine, et "était bien tenté de m'essayer". Moi pendant ce temps-là je ne quittais pas des yeux la couverture de leur dernier numéro qui traînait là, par terre. On y voyait Bowie, et une pléiade d'autres dieux du rock, plus ou moins titrés, plus ou moins adulés ou en forme, mais que des vrais, des authentiques rockers. Et Kramer, à l'autre bout du fil m'ouvrait la porte du temple. Il voulait me rencontrer et me demandait si je pouvais me rendre à Detroit dans les jours à venir.
    Cette année-là, j'ai passé Noël au paradis de l'automobile.

    ...




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