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    Comme le dit Jean-Claude Dunyach, l'anglais est la lingua franca de la SF. Aussi, lorsque l'on parle de traduction des auteurs français, il convient d'énoncer les choses clairement : il s'agit avant tout de traduction en anglais. L'enjeu est simple. Voir son texte publié sur un support anglo-saxon - pour ne pas dire américain - augmente significativement ses chances de le voir traduit en d'autres langues.
    Puisque, paraît-il, nous vivons dans le monde merveilleux de la mondialisation, il ne serait donc pas idiot de penser que les échanges de biens, fussent-ils culturels, se fassent dans les deux sens. Mais dès qu'il s'agit du marché américain, les règles changent un peu. Les vieilles habitudes ont la vie dure, et on tend plutôt à se retrouver avec, ce qui semblerait être vu d'ici, être un mélange assez malsain de doctrine Monroe et de plan Marshall. Un cocktail, d'ailleurs, qui est la norme pour à peu prêt tous les secteurs industriels. Alors vous imaginez bien que la littérature de science fiction ne va pas faire exception.

    Œuphémisme dès lors que de dire que nos écrivains sont peu traduits à l'étranger. A ce point d'ailleurs, que la différence subtile entre "peu" et "pas" provient surtout de l'acharnement de certains d'entre-eux. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que chez nous, se sont les éditeurs qui prennent l'initiative de la traduction. Ils lisent, ou on lit pour eux, des romans étrangers, ils négocient ensuite les droits auprès de l'auteur, ou plus souvent auprès de son agent, et commandent une traduction en vue de publication.

    La démarche va être strictement inverse pour un auteur français désireux de se voir traduit. Jean-Claude Dunyach, réputé pour avoir connu le plus souvent les honneurs d'une publication Outre-Atlantique le dit très clairement : "... je suis - de loin - celui qui a le plus publié en anglosaxonie au fil des années. Pas parce que je suis le meilleur, mais parce que je suis le plus riche... J'ai simplement les moyens de me payer des traductions et d'avancer le fric..."

    Lorsqu'on leur demande les raisons qui motivent cette politique éditoriale, ceux qui ont tenté la percée anglo-saxonne parlent souvent de l'impossibilité à trouver des lecteurs en français. Imparable. Jean Pettigrew, le patron des éditions québécoises A Lire, modère un peu cette belle unanimité. Du fait de sa proximité avec le marché US, il a eu l'occasion de tâter le terrain avec plus de persévérance, et a très tôt réussi à vendre ses auteurs à l'export. Il a pu constater que lorsqu'ils estiment que le jeu en vaut la chandelle, ou quand des relations de confiance se sont instaurées, ses confrères états-uniens savent très bien dégoter des lecteurs compétents. Quitte à les débaucher dans leur pôle de littérature générale.

    Car la littérature française s'exporte. Sous une certaine forme du moins. Des classiques, s'y est forgée une idée de la France - pas follement novatrice je vous le concède - qui fleure bon le terroir. Une lecture au son de l'accordéon en somme, et qui ne cadre guère avec les productions de nos champions de l'Imaginaire.

    Non ! Les vraies raisons qui poussent les éditeurs US à nous bouder sont en fait bien plus abruptes. Si bons soient-ils nos écrivains ne les intéressent pas. Simple. Clair.

    Il est bien évident que notre production est trop marginale, et trop peu représentée pour qu'on songe même à parler avec pertinence de protectionisme. Si certains éditeurs considèrent avec mépris notre acharnement à écrire de la SF, ils ne constituent guère qu'une frange inculte largement minoritaire. Une simple recherche à "Jules Verne" sur Amazon.com suffit à s'en convaincre. Mais comme le rappelle assez justement Gilles Dumay : "Les anglo-saxons excellent dans le thriller et la science-fiction, ils n'ont besoin de personne.". A telle enseigne que Jean-Christophe Grangé - 300 000 exemplaires vendus pour ses Rivières Pourpres - n'a connu les bonheurs de la traduction que grâce à la persévérance d'une jeune responsable du bureau de copyright de chez Harvill, et qui a dû batailler ferme pour imposer sa "découverte".

    Et quand bien même l'exotisme serait-il apporté par un pourvoyeur aussi illustre que Robert Silverberg, les portes ne s'ouvrent pas pour autant. Témoin Destination 3001, l'anthologie monstre qu'il avait co-dirigée avec Jacques Chambon, et qui réunissait un casting impressionnant de poids-lourds anglo-saxons et européens. Le cahier des charges initial prévoyait une publication des deux côtés de l'Atlantique, mais il n'en fût rien. Impossible, même pour Silverberg, d'intéresser les éditeurs à ce projet. Et pourtant, certaines des nouvelles américaines ont resurgies de-ci, de-là. Le constat est plus qu'amer du coup, et pour lui la sentence est sans appel. Lorsqu'on lui demande comment les éditeurs américains considèrent l'Imaginaire étranger, il répond tout simplement : "Il s'en foutent complètement ! Et de toute façon, l'état actuel de l'édition SF aux Etats-Unis ne laisse de place à presque rien, en dehors de séries de piraterie spatiales et autres choses du genre.". Et à la question de savoir si un auteur français a une chance de percer sur le marché américain, le couperet tombe encore plus durement : "Aucune chance !", et de rappeler que certains de ses confrères, et non des moindres puisqu'il s'agit de Fredrick Pohl et de Damon Knight, ont par le passé essayé d'intéresser le lectorat à des auteurs français. Deux échecs cuisants.

    Dans ces conditions pourquoi s'acharner ? D'une part, comme je le disais plus haut, parce que c'est le meilleur moyen d'attirer l'attention d'éditeurs d'autres pays, et d'autre part parce que c'est extrêmement rentable. Pour un roman traduit, éditeurs et auteurs font fifty-fifty. Donc l'un comme l'autre ont tout intérêt à œuvrer de concert dans ce sens. En France, c'est d'ailleurs généralement l'éditeur qui dispose des droits à la traduction (ce qui n'est pas le cas dans les pays anglo-saxons). Et les marchés sont prometteurs. Gilles Dumay parle des pays de l'Est et de la Chine, où nos auteurs éveillent la curiosité. Evidemment, le marché pour intéressant qu'il soit est bien moins porteur et surtout bien moins balisé qu'ailleurs en Occident. Thierry Marignac, traducteur de l'anglais et du russe, qui connaît bien l'ex-Union Soviétique, tempère et fait remarquer que les Russes n'ont que peu d'argent pour lire, et surtout, que l'économie de contrebande généralisée n'épargne pas le secteur de l'édition. Les contrefaçons - souvent de simples photocopies reliées - privent les ayant-droits d'une part importante de leurs revenus. C'est d'ailleurs un constat que fait aussi Sylvie Miller, qui connaît bien les Balkans, et traduit aussi depuis le Serbe.

    Un autre gros marché, souvent négligé, celui du monde hispanophone. Et là encore, méconnaissance et tendance isolationniste entravent les initiatives. Toujours selon Sylvie Miller, plus connue pour ses traductions de l'espagnol, la perte de terrain de l'apprentissage du Français dans les écoles d'Espagne explique en partie cette méconnaissance. Mais elle y voit aussi des raisons plus profondes : "Les Espagnols sont des gens assez cartésiens et pour eux les littératures de l'imaginaire sont un peu le domaine des fous ou des illuminés (à l'instar de Don Quichotte qui se battait contre les moulins à vent)."

     

    Une tendance au cartésianisme que ne semblent pas partager les Sud-Américains, tant leur littérature est emprunte de fantastique et d'irréel. Borgès et Garcia Marquez pour ne citer qu'eux en sont les exemples parfaits. Mais l'Amérique du Sud est un continent en crise où les gens ont peu d'argent à consacrer à la lecture. Un peu oubliés du monde Occidental, ils ont aussi nettement tendance à tourner en circuit fermé et à s'abriter derrière une sorte de chauvinisme continental, que la proximité du voisin du Nord-Américain encourage. Et aux USA, qui perfusent l'économie de presque tous les pays du sous-continent, il est bien plus facile d'imposer ses produits culturels.
     
    Toutefois, puisque les bonnes volontés sont là, ne pourrait-on réfléchir à un modèle économique viable ? Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les auteurs, et leurs agents, conservent les droits de traduction. En France, instaurer un tel système équivaudrait à s'aliéner l'aide précieuse des éditeurs, et surtout nécessiterait une mini-révolution culturelle. Chez nous, seuls les auteurs vraiment "bankables" ont des agents, et pour cause... le peu de rentabilité des littératures de l'Imaginaire n'encourage personne à inviter à troisième convive à une table où le gâteau est déjà bien peu copieux. Les éditeurs, du moins les gros, disposent en outre de structures dédiées qui se chargent des cessions de droits à l'étranger, et pour limités dans leurs marges de manœuvres, ils n'en sont pas moins efficaces. On peut facilement avoir l'impression que les choses ne bougent guère. Mais le marché, s'il n'est pas confidentiel, intéresse finalement assez peu, en dehors du fait qu'il génère pas mal de fantasmes chez les lecteurs fans, qui rêvent de voir leurs champions hexagonaux se colleter avec les poids-lourds anglo-saxons. Et puis, on l'a vu, les conditions sont difficiles. Mais il serait bien naïf de croire que de grosses maisons d'éditions négligeraient d'aller secouer un cocotier donnant de si beaux fruits.
     
    Pour les petits éditeurs en revanche, et pour les auteurs de nouvelles, il en va tout autrement. Dans le monde merveilleux du petit artisanat, il est illusoire de s'imaginer qu'on puisse avoir les moyens de démarcher à l'étranger, et encore moins de se rendre sur les deux salons en Europe où tout se décide, ceux de Francfort et de Londres. Si la nécessité d'un modèle alternatif semble une évidence, dans les faits c'est bien plus compliqué qu'il n'y paraît. Dans les années 80 Jean-Marc Lofficier, qui a un pied de chaque côté de l'Atlantique, avait songé à impliquer des auteurs américains dans une sorte de bourse d'échange de traductions. Il s'était alors heurté à une forte résistance du petit landernau, et notamment à l'association Infini qui tentait à l'époque de se constituer en un équivalent de la SFWA - la Science Fiction Writers of America créée en 1965 par Damon Knight, justement. L'idée pourtant était intéressante. Toutefois la reprendre en comptant sur une association de talents écrivains-traducteurs serait irréaliste. Presque tous les traducteurs de l'anglais au français répugnent à l'idée de s'essayer à l'exercice inverse. Trop difficile de ne pas trahir le texte.
    Alors quoi ? L'horizon semble bel et bien bouché, et des éditeurs comme Bragelonne semblent avoir trouvé une voix médiane, en bypassant la case anglais et en se concentrant sur les pays de l'Est, bien plus accessibles en dépit des réserves formulées plus haut. Ce n'est toutefois qu'un pis-aller de luxe, qui est loin d'offrir autant de débouchés que les marchés anglais et américains.

     

    L'état des lieux semble assez désolant, et pourtant... Connaisseur et observateur du marché anglo-saxon, Jean Pettigrew, qui avait été le premier à vendre un auteur français à un gros éditeur US depuis Saint-Exupéry, allume toutefois une faible lanterne qui vacille au bout du tunnel : "Les énormes difficultés des marchés anglosaxons aidant, je prédis que les "agents" n'auront pas le choix avant longtemps que de se tourner vers l'extérieur. Et ce sera un agent spécialisé dans une autre langue (lire "assez brillant pour lire une autre langue que l'anglais et capable de découvrir ainsi les bons titres dans cette langue pour le marché anglo) et qui saura vendre un ou deux bestsellers sur le marché anglosaxon qui sera le premier à faire tourner le vent... et à s'enrichir." Il parle ici de la fuite en avant des éditeurs US, bien plus markettés que les nôtres, et qui sont condamnés à faire du chiffre sur un marché très concurentiel. Rassurante touche d'espoir, qu'hélas pourtant, aucun indice tangible ne vient pour l'heure étayer. S'il est vrai, comme le note Robert Silverberg, que le marché américain se renouvelle peu, il n'en reste pas moins que son lectorat ne semble pas être à bout de souffle, et que le marché n'est pas encore saturé. Cette tendance à l'isolationnisme continental n'est pas une simple conséquence du 11 septembre. C'est bel et bien une tendance dure de la culture américaine, et qui transpire jusque dans les fondements de sa fiction. Jean-Claude Dunyach le résume bien : "Je lis plein de bouquins qui se passent dans un univers alternatif où le Nord-Amérique est le seul continent - il existe sans doute une poignée d'îlots vaguement peuplés appelés Afrique, ou Europe, voire Chine ou Inde, mais on ne s'en occupe pas. Donc les extraterrestres venus de l'espace débarquent aux USA, règlent les affaires du monde avec le président local, et découvrent les joies du hamburger, sans qu'à aucun moment soit évoqué la possibilité que d'autres cultures puissent avoir leur mot à dire.". Mais il se trompe lorsqu'il conclut : "Ce n'est pas de l'arrogance, c'est juste de l'ignorance.". Ce "splendide isolement" est inhérent à la mentalité américaine, et on peut présumer, sans trop de risques, qu'il faudra bien plus qu'un simple coup de chaud sur le marché l'édition pour que les services d'acquisitions de droits des grandes officines se décident à lorgner du côté de nos côtes.
    La situation ne nous semblerait d'ailleurs pas si scandaleuse si les auteurs américains n'étaient pas, eux, largement diffusés chez nous. Ce vieux rêve de la publication en "anglosaxonnie", a pourtant la vie dure. Notre complexe d'infériorité aussi d'ailleurs, et ceci explique peut-être cela. Mais il est amusant, dès que l'on discute avec les acteurs du milieu de s'apercevoir que, même chez nous, l'aune à laquelle se mesure ce choc mou au niveau mondial, est l'argent. Etonnant en France, où le sujet est volontiers tabou, et où il est presque obscène de mélanger "art" et gros sous.

    Car parler de traduction, c'est parler argent, et ouvrir sur le débat des revenus des auteurs, et l'opportunité pour certains d'entre-eux de se professionaliser. Et là, quels sont ceux qui, en dépit d'un certain consensus incantatoire, seraient prêts à faire le grand saut, pour devenir d'authentiques marchands de mots ? Une question à laquelle nombre des auteurs étrangers traduits chez nous ont depuis longtemps répondu.
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    1 commentaire

  • On s'en refile les références entre initiés comme on le ferait du tuyau d'un entraîneur dans la cinquième à Vincennes. On en a entendu parler, comme parfois nous parviennent les rumeurs d'une abduction. Il se peut même qu'on connaisse un gars qui connaît un gars dont le beau-frère est voisin du fils de la concierge de l'immeuble dans lequel vit un gars qui en aurait lu un. A l'occasion, c'est toujours bien venu d'en évoquer un au détour d'une conversation. Ça fait chic et érudit.

    Ce sont ces livres dont tout le monde parle, mais qu'au final presque personne n'a lu, souvent faute de réédition. Petit phénomène fétichiste propre à toute micro-niche, le culte n'épargne pas la SF. Le phénomène ne laisse d'ailleurs pas les éditeurs indifférents, puisque de plus en plus il vont puiser dans leurs fonds de catalogue pour en exhumer ces petites perles noires, comme témoigne la présente réédition de Rêve de Fer, qui naguère encore aurait figurer tout en haut de cette liste avec Radix, Malperthuis ou la Tétralogie Apocalyptique de Ballard qui va prochainement connaître une réédition. Voici donc une petite sélection de quinze de ces incunables des temps modernes.





    1) Illuminatus - Robert Shea et Robert Anton Wilson

    medium_shea.jpgMonstrueux pavé de 1500 pages écrit en 1975 (et sensément publié en trois tomes en France), Illuminatus est une référence cultissime pour les fans de cyberculture. Shea et Wilson, deux figures de la contre-culture des années 60 qui, comme beaucoup, avaient opéré le virage vers les nouvelles technologies, parlaient de ce roman comme d'un "conte de fées pour paranoïaques, parlant de sexe, de drogues et de nouvelles religions". Combinant des données scientifiques de pointes, des théories alors très underground comme la métaprogrammation, la mémétique ou la théorie du chaos, avec un scénario finalement assez conventionnel d'histoire secrète, ils ont transformé Illuminatus en une sorte d'équivalent cyberpunk du En terre étrangère d'Heinlein. C'est une sorte de virus médiatique écrit bien avant que l'idée même de cyberpunk n'apparaisse et dont Wilson aimait parler sous le nom d'"Operation Mindfuck".

    C'est le classique perdu par excellence, puisque son éditeur - la Librairie des Champs-Elysées – n'a jamais jugé utile de publier le troisième tome. Les aventureux devront donc se résoudre à lire la fin de l'histoire en anglais.



    2) Les Fileurs d'Anges - John M.Ford


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    Culte pour certains et rigoureusement illisible pour les autres, Les Fileurs d'Anges a la flatteuse réputation d'avoir coiffé William Gibson au poteau en préfigurant le concept de cyberspace dans ce roman qui tient pourtant plus du space opera que du techno thriller. C'est aussi le seul de lui paru à ce jour en France. Il faut dire que John Milo Ford est une personnalité atypique, qui n'aime pas être catalogué, et qui œuvre avec une volonté farouche d'originalité qui n'est pas sans nuire à sa lisibilité. Outre Les Fileurs d'Anges, on lui doit des novellisations barrées de Star Trek, des romans de fantasy urbaine, des thrillers, un roman de vampires et sous pseudonyme de la littérature enfantine.

    Paru en 1980 aux Etats-Unis, ce premier roman touche nos côtes deux ans plus tard chez J'ai Lu, et n'a depuis lors jamais connu de réédition.





    3) Dangereuses Visions 1 & 2 - Harlan Ellison

    medium_ellison.jpgD'une manière générale il est assez difficile de trouver les livres d'Harlan Ellison. Il n'y est d'ailleurs pas étranger. Malgré sa réputation, ou peut-être à cause d'elle, il reste catalogué comme le trublion de la génération 68, le fouteur de merde qui voulait "tuer le père". Rien n'est plus faux, comme le prouve sa légendaire anthologie Dangerous Visions qu'il dirige en 1967 avec l'ambition de faire sortir la science fiction de ce qu'il comme considérait comme sa période d'infantilisme, à savoir sa foi naïve en une science toute puissante et dont les grands noms de l'Âge d'Or s'étaient fait les chantres. Si Dangerous Visions rassemblait quelques valeurs montantes de l'époque, comme Robert Silverberg, Frederick Pohl, Brian Adliss, J.G Ballard ou John Sladek, Ellison avait aussi fait appel à des auteurs bien installés, en leur demandant de sortir de leurs sentiers battus. Et nombreux étaient ceux qui avaient joué le jeu, à commencer par Isaac Asimov dont la préface donnait le ton. Parmi les contributeurs citons Roger Zelazny, Robert Bloch, Poul Anderson, Damon Knight, Philip José Farmer, Lester Del Rey ou Fritz Leiber. Même Philip K.Dick avait répondu à l'appel. Et de fait, il est plus simple de compter qui ne figure pas au sommaire de Dangerous Visions que d'énumérer tous les auteurs du casting le plus phénoménal de l'histoire de la SF. Récompensée par un Hugo en 1968, Harlan Ellison, avec la modestie qui le caractérise, estimait dans la préface de la 35th Anniversary Edition, qu'il avait pleinement rempli son contrat, et bel et bien livré au monde une anthologie séminale.

    Paru en France chez J'ai Lu en 1975, sous la direction de Jacques Sadoul, elle n'a jamais été rééditée, ce qui est d'ailleurs proprement scandaleux.




    4) Breakfast du champion - Kurt Vonnegut Jr

    medium_vonnegut.jpgSi ça peut lui faire plaisir, Kurt Vonnegut Jr n'est pas un écrivain de science fiction. Il n'en reste pas moins que toute la première moitié de sa bibliographie a d'abord été publiée en édition spécialisée. Et ce fût aussi le cas de ce Breakfast du champion, qui précisément est le point de rupture dans sa carrière. Publié en 1972, ce roman est la somme de toutes les obsessions dont Vonnegut a nourri ses fictions jusqu'alors. Il dit volontiers qu'il devait ce livre en forme de testament à ses personnages. Et de fait toute l'intrigue est à leur service, puisqu'il va même jusqu'à les libérer de lui-même et les enjoins à vivre leur vie au mieux. Une idée tarabiscotée à la Vonnegut, et servie par une narration très éclatée, presque en forme d'aphorismes, au point que parfois on se croirait en train de lire un Cioran complètement défoncé à la mescaline.

    Drôle et très travaillé, comme toujours chez lui, Le Breakfast du champion est clairement ce qu'on appellerait aujourd'hui une transfiction. Publié chez J'ai Lu en 1975, il a bénéficié d'une discrète réédition en 1999 (largement épuisée depuis), à la faveur d'une adaptation cinématographique non moins discrète.




    5) Software - Rudy Rucker

    medium_rucker.jpgAvec Neuromancien de Gibson et La Schismatrice de Sterling, Software est souvent cité comme un des romans de référence de la génération cyberpunk. C'est sur celui-ci que s'est construite la renommée de Rudy Rucker, un auteur que tout le monde connaît mais que peu ont lu, faute de rééditions (une injustice désormais - en partie - réparée grâce à Lune d'Encre). Software n'est en fait que le premier tome d'un quatuor écrit au long court et qui se compose, en plus, de Wetware, Freeware et Realware. Une occasion pour Rucker, qui tout comme Sterling est l'un des grands théoriciens du cyberpunk, de nourrir son récit de vingt années de réflexions et de mises en perspectives des rapports troubles qu'entretiennent les unités biologiques humanoïdes avec la technologie.

    Ecrit en 1982 (deux ans avant Neuromancien), Software avait été publié en France en 1986 par feu les éditions Opta. Jamais réédité il vous faudra beaucoup, beaucoup de chance pour le dénicher.




    6) L'Homme-dé - Luke Rhinehart

    medium_rhinehart.jpgBon, pas tout à fait perdu, mais pas non plus très facilement trouvable, L'Homme dé est un classique pour initiés, en d'autres termes un livre culte. Il est publié en France en 1973, peu de temps après sa sortie aux Etats-Unis où il n'a pas tardé à s'attirer la réputation de roman le plus subversif de sa génération. Il raconte l'histoire d'un psychiatre new-yorkais qui, décide que puisque le monde va mal lorsqu'il est confié à la volonté des hommes, autant s'en remettre au hasard et décide de jouer sa vie aux dés. L'aspect subversif du roman est renforcé par un effet d'autofiction fantasmé puisque son héros s'appelle lui aussi Luke Rhinehart. Il faudra d'ailleurs attendre longtemps avant de savoir qui se cachait réellement derrière ce pseudonyme. Un mystère qui a tenu en haleine des millions de fans de part le monde, car L'Homme Dé est le seul et unique roman publié par Rhinehart, ce qui a parfois tendu à en faire une sorte d'évangile contre-culturel.

    Réédité en 1998 par l'Oliver, c'est certainement l'un des classiques perdus les plus facilement trouvable de la liste.






    7) La Dimension des Miracles – Robert Sheckley

    medium_shecley.jpgC'est peut-être son penchant pour la bonne blague, voire même parfois la gaudriole, qui ont fini par faire un peu oublier Robert Sheckley dont on n'a guère plus parlé ces dernières années qu'à l'occasion de sa mort, survenue en décembre dernier. Pourtant réduire son œuvre à une blague d'un goût douteux serait une erreur. Ses premiers romans sont des petits bijoux de dérision, où il dynamite avec une jubilation enthousiaste les codes d'un genre qu'il n'a jamais pris très au sérieux, mais dans lequel il a su injecter une solide dose de distance caustique. C'est le cas avec La Dimension des miracles, souvent considéré comme son meilleur roman. L'absurde et très désolante odyssée de Carmody, son héros est, comme toujours chez Sheckley, prétexte à croquer impitoyablement nos petites glorioles et pathétiques bassesses. Mais le temps passe et à son humour débilo-décalé on a préféré les bonnes grosses blagues de geek d'un Pratchett. Signe des temps ?

    Sorti en 1973 au Livre de Poche, cinq ans après sa parution originale, et il été réédité pour la dernière fois en 1989.




    >8) L'homme démoli - Alfred Bester

    medium_bester.2.jpgRégulièrement cité comme référence par des auteurs comme Serge Lehman et figurant dans toutes les listes de références, L'Homme démoli est un roman de 1955 qui a régulièrement été réédité jusqu'en 1996. Mélangeant avec bonheur enquête policière et science fiction, il y a indéniablement un parfum dickien dans cette histoire de flics télépathes qui peuvent anticiper l'exécution du délit. Seulement en 55, alors que Dick n'est encore qu'un noircisseur de pages, certes déjanté, mais néanmoins mineur, Bester est lui un auteur installé et respecté, et dont l'écriture influencera de nombreux autres écrivains.

    Au catalogue Présence du Futur depuis toujours, il ne fait aucun doute que L'Homme démoli ne tardera guère à être réédité par Folio SF.





    9) Le Cycle D'Helliconia – Brian Aldiss

    medium_Aldiss.jpgFinalement assez peu connu en France, Brian Aldiss est indéniablement un des grands maîtres britanniques du genre. Si de lui on cite assez souvent le Monde Vert, Helliconia est son Grand Œuvre. Livre-monde titanesque il ne trouve guère son équivalent que dans Dune auquel on le compare parfois, ne serait-ce que pour la densité de son univers. Bien que régulièrement réédité au Livre de Poche, ce cycle en trois (gros) volumes tend à devenir difficile à trouver. C'est plus que dommage car la chronique de ce monde dont l'hiver et l'été durent chacun plusieurs millénaires est tout à fait fascinante.

    Publié chez Ailleurs et demain en 1984 et réédité pour la dernière fois au Livre de Poche en 1998, il n'en reste pas moins assez difficile à trouver.





    10) Ces garçons qui venaient du Brésil – Ira Levin

    medium_levin.2.jpgSuggestion tout à fait pertinente à cette liste, soufflée par Ugo Bellagamba, Ces garçons qui venaient du Brésil est l'autre roman d'Ira Levin. Celui qu'on cite une fois que l'on a mentionné l'incontournable Rosemary's Baby. Levin est un touche un tout, et pour tout dire un touche à tout assez moyen. Ecrivain sans flamboyance à l'écriture gentiment lustrée par un manque de génie persistant, il compense largement ces carences par une production régulière et conséquente. Mais en France, l'arbre a souvent eu tendance à cacher la forêt, et il a été assez peu publié. Avec ce roman écrit en 1976 et poussivement adapté au cinéma dans la foulée, il livrait pourtant une histoire tout à fait convaincante de clones d'Hitler élevés après la guerre, dans l'espoir que l'un d'entre-eux reprendra le flambeau. Idée intéressante qui mixe avec bonheur des thèmes aussi divers que la fuite des criminels nazis, la persistance du fantasme du IIIème Reich, et bien-sûr la génétique, bien loin encore d'apparaître à l'époque comme une thématique majeure du genre.

    La dernière édition connue est celle de J'ai Lu et date de 1979.




    11) Stalker, pique-nique au bord du chemin – Arkadi & Boris Strougatski

    medium_stalker.2.jpgLes frères Strougatski sont d'authentiques figures des littératures de l'Imaginaire. Déjà du fait de leur talent, et de la maîtrise qu'ils ont de l'art difficile de l'écriture à quatre mains. Mais surtout leur production littéraire s'est forgée au cœur des années noires du communisme soviétique. La mort de Staline et le relatif dégel occasionné par l'ère Krouchtchev leur a offert l'opportunité de publier des œuvres engagées où ils n'hésitaient pas à critiquer (à mots couverts évidemment) les travers du régime en place. Des tracas avec la censure les ont ensuite contraint à se tourner vers l'humain et à délaissé le politique, sans pour autant que la qualité de leur plume n'en souffre. Stalker est de cette veine là, et a été écrit en 1972, alors que Brejnev faisait peser une chape de plomb sur l'URSS. Andreï Tarkovski adaptera d'ailleurs pour le cinéma cette étrange et poétique histoire de Terriens pillant la zone d'atterrissage abandonnée par de mystérieux visiteurs extra-terrestres, et qui ont laissés derrières divers objets aux propriétés inconnues.

    Un roman tout à fait étonnant, publié pour la dernière en 1994 par Présence du Futur.




    12) Récits de science fiction – de J.H Rosny Aisné

    medium_rosny.2.jpgContribution de Serge Lehman à cette modeste liste, Récits de science fiction est un fondement de la culture SF francophone. On connaît le nom puisqu'il l'a donné – non sans raison – à l'un des plus prestigieux prix littéraires, et on connaît l'auteur pour sa Guerre du Feu. En revanche on a un peu trop oublié que la langue lyrique de ce Belge s'est aussi employée à décrire des univers futuristes à mille lieues des standards de la SF américaine de l'époque. Axés sur la découverte de l'autre et de la différence, les nouvelles rassemblées dans ce recueil oscillent entre l'incroyablement actuel et le délicatement désuet, mais sont toujours servies par une écriture riche et généreuse. Il ne fait aucun doute que Rosny Aisné est l'un des père de la science fiction européenne il serait temps que l'on s'en souvienne.

    Publié en 1975 par les éditions Marabout, cette collection de nouvelles n'est plus guère trouvable en occasion qu'à des prix rigoureusement déraisonnables.




    13) Shambleau – C.L Moore

    medium_moore.jpgLorsque dans les années 80 on demanda à Robert Silverberg de participer à une anthologie qui proposait à des auteurs connus de reprendre l'univers d'un autre écrivain pour en extrapoler une suite, c'est une nouvelle tirée de Shambleau qu'il choisit. C'est dire l'impact qu'eût C.L Moore dans une SF anglo-saxonne presque exclusivement dominée par les hommes. Elle qui signait de ses initiales pour ne pas effrayer les éditeurs qui ne la connaissait pas avec "Catherine Lucille". La nouvelle qui donne son titre à ce recueil mixe avec grâce le thème du vampire et l'univers du space opera, mais elle explore bien d'autres rivages au long des huit autres récits qui suivent, en faisant revisiter à son héros, Northwest Smith, certains des mythes les plus anciens de l'humanité.

    Shambleau est un incontournable, régulièrement cité dans les listes de référence, mais qui est tombé dans un semi oubli en dépit d'une dernière réédition chez J'ai Lu en 1999.




    14) Le Disque rayé – André Ruellan

    medium_ruellan.2.jpgTrouvable, certes, mais fâcheusement oublié, Le Disque rayé est unanimement reconnu comme le meilleur roman d'un auteur singulièrement peu prolifique pour un "ancien du Fleuve". Publié en 1970 sous le pseudonyme de Kurt Steiner, ce court roman, exercice de style surréaliste et déroutant sur un accroc du temps est une expérience littéraire à tenter. La rigueur de l'écriture, sa concision mise au service d'une histoire par ailleurs totalement dénuée de repères, place André Ruellan dans la catégorie des expérimentateurs ambitieux. Très symptomatique d'une certaine vision des littératures de l'Imaginaire, une vision très française avouons-le, Le Disque Rayé fait partie de se ovnis que réservait parfois la production standarisée du Fleuve. On le retrouve dans les références d'auteurs comme Philippe Curval ou Ayerdhal.

    Après bien des avatars, la dernière avérée – et première sous le nom de Ruellan - date de 1997 au Livre de Poche.





    15) L'arc en ciel de la gravité - Thomas Pynchon

    medium_pynchon.2.jpgPynchon est un auteur généralement publié en blanche, et qui bénéficie d'une aura cultuelle du fait de la dévotion que lui réservaient des piliers du cyberpunks tels que Sterling, Gibson ou Rucker. Son univers, tout entier basé sur la déconstruction des grands mythes du monde moderne, donne naissance à une fiction qui oscille entre le décalé et la satire. Un mélange qui rappelle Vonnegut. Si on trouve très facilement Vente à la criée du lot 49, Vineland ou ses ouvrages les plus récents, L'arc en ciel de la gravité est rigoureusement introuvable. Edité en 1988 au Seuil dans la collection Fiction et Cie, il est devenu le St Graal de certains de ses adorateurs. Il faut dire que l'on parle ici de ce qui est certainement son roman le plus ambitieux. Un collage de bouts de vies qui s'entremêlent dans un lacis d'intrigues presque inextricable. Une structure éclatée qui n'est pas sans évoquer Les Faux-monnayeurs de Gide. Mais comme toujours chez Pynchon, on tend vers le définitif. Vers l'apocalyptique. L'homme n'a pas, il est vrai, une image très reluisante de ses semblables.

    Chercheurs et adorateurs... Bon courage à vous !



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    2 commentaires
  • Est-ce qu'avoir la vie dure est le destin naturel de toute étiquette se rattachant au rock, qui lui non plus n'en fini pas de mourir à ce qu'on dit.

    Comme Alan Freed, qui en 52 est sensé avoir lancé l'expression "rock'n'roll", c'est à Gardner Dozois, alors rédacteur en chef de Asimov SF Magazine, qui revient la gloire discrète et contestable de ce collage de mots pour le moins contre-nature : cyberpunk.

    L'expression en tout cas fait mouche. Normal, Dozois l'a piquée dans une nouvelle de Bruce Bethke, datée de 1980 et tout simplement intitulée Cyberpunk.

    Toutefois lorsqu'en 1981, Sterling publie dans Interzone ce qu'il considère comme le manifeste du cyberpunk, un article intitulé New Science Fiction, pas une seule fois le mot n'apparaît.

    Logique, ils ne sont pas encore les Cyberpunks. Ils ne le deviendront d'ailleurs qu'à leur corps défendant. En revanche ils sont énervés, ils en veulent, ils bouillonnent d'idées baroques et de théories fumeuses, ils se considèrent en état de siège et ils ne supportent tout simplement pas les diktats de l'édition. Bref, ils sont jeunes !

    Comme ce ne sont encore que des petits cons arrogants, ils ne se lassent pas de compisser une SF endormie où les mêmes clichés éculés sont répétés à l'envi. En revanche ils élèvent un culte flatteur autour d'une poignée d'auteurs choisis : Harlan Ellison pour son goût de la provocation, Samuel Delany pour sa puissance visionnaire, Norman Spinrad et sa propension au foutage de merde, Michael Moorcock et ses élans rock, et surtout, plus que tous les autres J.G Ballard, la plus radicale et la plus ouverte de leurs influences. Des auteurs qui n'ont eu peur ni de l'expérimentation, ni de l'implication politique. Des auteurs qui ont des choses à dire. En quête de vérité. Une définition qui correspond aussi à ce collectif de jeunes branleurs.

    Ils ont la hargne. Ils ont l'attitude aussi. Déclarations fracassantes et formules à l'emporte pièce comme "clairvoyance technologique" ou "acuité conceptuelle". Leur écriture est engagée, leur fiction évoque une guérilla urbaine. Les critères de qualité et d'esthétique qu'ils s'imposent les font osciller entre le brûlot et la choucroute caramélisée. La ration de guerre et la fondue au chocolat. Mais au fond qu'importe, ils essaient, ils sont dans l'urgence. Ils sont en mission.

    Dehors la technologie envahit le quotidien. Bill Gates, un binoclard à tête d'œuf est sur le point de sortir un truc qui va révolutionner la planète : Windows 1.0. Au pied des buildings de Wall Street des traders, (forcément) républicains et pétés d'oseille, délaissent les écouteurs de leurs walkmans Sony™ et la cassette de Thriller qui va avec le temps de passer un coup de fil sur leur Motorola dynaTAC TM 8000X©. A deux pas de là, en remontant Broadway sur quelques blocs, des mômes écoutent sur leurs tout nouveaux ghetto blasters les sons bricolés de l'autre côté de l'East River sur des platines pourries avec de vieux disques rayés.

    C'est une décennie de fric, de fracture sociale avec des vrais morceaux de misère abjecte dedans. Le soir les rues se remplissent de freaks mi travelos, mi keupons qui courent le fix. Autour de Central Park la fumée des braseros que les homeless ont allumés dans l'espoir futile de faire reculer de quelques mètres le froid glacial de l'hiver importune le yuppie au Motorola qui s'est rentré, là-haut, dans son 200 m² de la 5ème Est. Les flics venus les déloger en urgence n'auront pas le temps de s'arrêter en chemin pour empêcher le viol collectif d'une jeune noire. Pas grave, elle est noire. 911 Is A Joke, comme le chantera plus tard Public Enemy.

    La fiction de nos jeunes auteurs colle remarquablement à l'ère du temps. Contes tristes d'une société qui s'est déjà engagée dans un himmelman en dessous du plafond qui la conduira inévitablement au crash. Des décombres de l'explosion sortira la prose bricolo de joyeux anars, inégalement doués, mais qui tous raconteront l'histoire du suicide de l'Humanité.

    Il faudra attendre 1984 et la sortie du Neuromancien de Gibson pour que l'assimilation se fasse. Ce nouveau collage de mots insolite, est un peu comme un précipité des préceptes du "Mouvement". Magie, technologie, un peu des deux et ni l'un ni l'autre, quoiqu'il en soit après l'immense succès du Neuromancien l'étiquette va coller pour de bon, sans que ni Gibson, ni Sterling, ni Shiner ne fassent beaucoup d'effort pour s'en débarrasser. C'eût été vain de toute manière. Et puis il faut bien le dire, l'expression est flatteuse. Bien trouvée. Elle leurs rend assez bien justice. Cyber, oui, indubitablement, avec leurs implants neuraux, leurs hackers, leurs réalités virtuelles, mais punks surtout. Débine, défonce, défiance du capitalisme, envie de faire exploser les carcans. Ils ne sont pas si loin du nihilisme présumé d'un Richard Hell, ou d'un Johnny Thunder qui était capable "d'arracher la défaite des mâchoires de la victoire" comme le disait de lui Wayne Kramer. La révolte des Cyberpunks répond si bien à celle des groupes de l'époque : les Voidoids, Dead Boys, Germs, Ramones et autres Dead Kennedys. Que d'ailleurs leur fiction colle si parfaitement à la musique de villes dont aucun n'étaient originaires (sauf Rucker qui a suivi ses études à New York) atteste du timing idéal de leur écrits.

    Mais tout comme le Rocket To Russia des Ramones à sonné, dans une certaine mesure, le glas du punk US, Neuromancien, a forcé les Cyberpunks à assumer le rôle qu'on voulait bien leur faire tenir. Anarchistes, fouteurs de merde, nihilistes, anti-humains, autant de clichés de seconde main qui les ont tous mis, à un moment donné, sur la touche, pendant que la grande machine éditoriale reprenait à bon compte le baroque de leurs univers pour en livrer une version light, sans cholestérol, et surtout sans danger. Et toute une horde de tâcherons de s'atteler dès lors à une SF Hi-Tech en carton qui n'est au mouvement originel que ce que Billy Idol fût au punk.

    Les Cyberpunks ont payés le prix de leur jeunesse. En colère mais naïfs, déterminés mais peu avisés, jeunes quoi ! ils sont tombés dans le piège tendu pour eux par la Grosse Machine. Et cela c'était inévitable. Reste toutefois, qu'à bien y regarder, remarquablement peu d'entre eux se sont reniés. Le genre s'est galvaudé jusqu'au ridicule, mais les convictions qui animaient cette bande de jeunes aspirants écrivains au début des années 80, elles, sont restées les mêmes.

    Preuve en est, cette Identification des schémas que livre aujourd'hui celui qui reste le plus génial de leurs vétérans. Alors on peut bien ricaner (et moi le premier) des excès de vanité de ceux qui furent les Cyberpunks, mais au final, dehors, rien n'a vraiment changé en vingt ans. C'est toujours la guerre contre le même système et si l'on a l'impression que rien ne bouge, c'est peut-être qu'il est temps pour nous de se demander où sont passés les combattants.



    Archives - Août 2004



     



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